Les grands enjeux et mutations du XXI siècle
Extraits de la conférence d’Ignacio Ramonet
du 07.06.01 à Belfort
Par Elsie Pimmel
 

Pour pointer les défis du XXIème siècle, il nous faut déjà identifier le moment présent, comprendre les enjeux immédiats, arriver à cerner les mutations à venir et ainsi, rendre intelligible cette réalité apparemment complexe qui semble nous dépasser.

Mais, pour cela, nous faisons encore référence à une « boîte à outils » créée à une époque révolue et donc, inadaptée à la conjoncture actuelle. Nous devons donc renoncer aux modèles économiques classiques comme celui, par exemple, du libéralisme élaboré par Adam Smith au début de l’ère capitaliste et qui a comme corollaire le colonialisme.

Et pour cause, nous assistons, aujourd’hui, à une mutation technologique comparable à la création de l’imprimerie pendant la Renaissance et à l’invention de la machine à vapeur dont la révolution industrielle est issue. Depuis une trentaine d’années, l’arrivée massive de l’informatique a induit un profond bouleversement de la société. Ce phénomène est d’autant plus difficile à analyser qu’il fait partie de ces révolutions silencieuses qui se déroulent comme dans un film dont nous avons un aperçu global à vitesse normale alors qu’il nous faudrait un arrêt image par image pour saisir tous les détails. Néanmoins, nous pouvons déjà tirer une première conséquence de cette révolution : dans les années cinquante, l’informatisation de la société était nulle, le nombre de chômeurs quasiment nul, actuellement la société est suréquipée en informatique et nous connaissons un chômage de masse !

Cette mutation technologique a également entraîné un bouleversement culturel dont les retombées commencent à être perçues. En effet, la révolution  numérique permet pour la première fois de l’Histoire d’intégrer les trois formes de communication : son, image, texte. En même temps, la mise en réseau des ordinateurs (internet) favorise la multiplication des échanges informels. Or, cette facilité offerte pour les échanges de biens immatériels devait amplifier les échanges économiques entre pays et permettre l’essor de la mondialisation. Mais, pour l’instant, la seule globalisation observée est la globalisation financière et elle reste surdimensionnée par rapport au reste. En effet, au début du siècle, la part de l’économie matérielle (produits manufacturés) était de 95 % tandis que la part de l’économie immatérielle (la finance) était de 5 %. A l’heure actuelle, nous assistons à une inversion totale de ce rapport : sur l’ensemble de la masse monétaire, 5 % provient de l’économie matérielle et 95 % de l’économie immatérielle.

Nous pouvons donc affirmer que nous sommes dans une phase de transition, à cheval entre la fin de l’ère industrielle et le début de l’ère de la mondialisation.

Par ailleurs, c’est la première fois dans l’Histoire qu’un pays, les Etats-Unis, domine la planète et cela, dans tous les domaines : hégémonie politique (arbitrage des conflits dans le monde), économique (toutes les places financières du monde sont tributaires de Wall Street), militaire (un demi-siècle d’avance sur tous les autres pays), technique, culturelle (télévision, cinéma de masse…)…

Il en découle une mutation des acteurs géopolitiques. Auparavant, la pyramide hiérarchique se définissait ainsi, l’ONU votait une résolution qui était ensuite relayée par les Etats, puis par les citoyens. Aujourd’hui, le gouvernement de la planète est constitué de quelques organisations multilatérales : OMC, FMI, OCDE qui instaurent une concurrence économique mondiale entre les pays. Il en résulte un morcellement des Etats (éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie) au plus grand profit des firmes globales (dont les activités couvrent tous les champs économiques : la banque, le divertissement, la distribution d’énergie…). Au début du siècle, il existait une trentaine d’Etats, de nos jours, nous comptons l’existence de près de 200 Etats.

Cette stratégie ne va pas sans poser le problème de l’identité de l’Etat. Il s’opère un transfert vers le bas de ses prérogatives qui rime généralement avec régionalisation et fédéralisme. En même temps que nous voyons émerger au niveau économique des zones de libre-échange et fusionner des grandes entreprises, les pays se fractionnent de plus en plus. Ce qui a comme conséquence que les budgets des multinationales les plus importantes dépassent les budgets de nombreuses Nations et leur permettent de s’installer dans des Etats petits et fragiles afin d’en disposer. Ne  parlons-nous pas actuellement de « nationalisme des firmes » ? En effet, les jeunes ne déclinent-ils pas leur identité à travers le port vestimentaire de marques ? Cela ne montre-t-il pas l’influence de plus en plus envahissante des entreprises privées au détriment des Nations ?

Pour contrecarrer ce phénomène de concentration et de délitement, la résistance a été amenée à se réorganiser par le biais de la création d’ONG - Organisations Non Gouvernementales -  Ces associations reprennent à leur compte les domaines délaissés par l’Etat et ouvrent parallèlement des chantiers nouveaux comme l’écologie. Grâce à leur travail, des mouvements de protestation comme à Seattle, Nice et Québec ont pu voir le jour. La nouveauté de leur combat réside dans le fait qu’ils s’adressent directement aux véritables responsables des décisions planétaires : les organismes multilatéraux tels que l’OMC, le FMI, l’OCDE, et non plus les Etats.

Finalement, un des phénomènes révélateurs des transformations actuelles est la crise des identités. Des enquêtes ont été réalisées par les sociologues pour savoir comment se définissent les citoyens dans les pays industrialisés : auparavant, les réponses étaient de type social ou politique : « je suis ouvrier » ou « je suis communiste » ; aujourd’hui, elles sont de type ethnique ou religieux : « je suis Corse » ou « je suis musulman », voire même, « je suis « bohême » ou « je suis supporter de telle ou telle équipe».

Nous assistons à la naissance d’identités provisoires qui traduisent un monde en mouvement.
 

Elsie Pimmel.
 
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