Vers la pénalisation de la jeunesse ?
Conférence de Laurent Bonelli à Mulhouse le 20.06.01
Synthèse réalisée par Fabien Desgranges
Des transformations importantes sont apparues dans les relations Police-Justice autour des années 80. Dans les années 70, les questions de Police et de Justice sont traitées séparément, stricto sensu. A partir des années 80, on voit se mettre en place aux USA et en Europe, des mesures dites de « sécurité » qui intéressent fortement les politiciens.

En France, cela commence par les conseils communaux de prévention de la délinquance –CCPD- jusqu’aux récents contrats locaux de sécurité –CLS-. Le paradigme de ces politiques est que la sécurité est une coproduction entre différents acteurs tels les élus, les magistrats, la police…Les zones géographiques visées directement sont les « zones sensibles » des milieux populaires et anciennement ouvriers. L’objectif est de traiter prioritairement certaines formes de comportements considérées comme délinquantes : les incivilités.

Ces idées proviennent des USA, à travers la théorie de « la vitre cassée » de Wilson et Kelling. Quand une vitre est cassée et qu’elle n’est pas remplacée, la zone détériorée devient peu à peu une zone de non-droit. Dans la pratique, les incivilités sont interprétées comme étant la source de toutes les délinquances futures. Il y aurait une continuité grandissante du simple cassage de boîtes aux lettres, au vol de voiture, puis au trafic de drogue (non avéré dans la pratique). On exprime aussi cela par « Qui vole un œuf vole un bœuf ».

En conséquence, les USA ont appliqué (notamment à New York aux alentours de 1990) ce que l’on nomme « la tolérance zéro » ; le moindre petit délit est immédiatement répertorié et traité. Le but est de vouloir séparer très tôt, d’un côté les « bons citoyens » et de l’autre, les « voyous ».

En France, outre l’utilisations des CRS dans les banlieues, on voit apparaître les brigades d’action criminelle –BAC- et la police de proximité qui renforcent les interpellations et fichages des individus dans les zones « difficiles ». Le but est d’établir dans ces quartiers le profil de tous les habitants, pour pouvoir, lors d’un délit, arrêter et faire comparaître immédiatement les personnes concernées. Beaucoup de temps et d’énergie sont pris sur ces « zones sensibles » : ce n’est pas un choix naturel et neutre. Il est justifié officiellement par une augmentation de la délinquance dans ces quartiers.

Mais comment est comptabilisée la délinquance ? En France, cette comptabilisation se fait par circonscription de police. On constate que 80 % des infractions proviennent d’une plainte et 20 % du flagrant délit. Du fait de la présence de la police de proximité, il y a une facilité plus grande qu’auparavant de déposer plainte au commissariat, d’où une augmentation logique du nombre de plaintes : plus il y a d’effectifs policiers, plus les infractions sont visibles. Malgré cela, il est à noter quand même une baisse tendancielle depuis un siècle des agressions physiques, accompagnée d’un seuil de tolérance, par rapport à ces actes, beaucoup plus bas qu’auparavant, dans la société.

Dans les quartiers « difficiles », on remarque le durcissement du comportement d’une partie de la population (en particulier les jeunes) avec les institutions et surtout, avec la police. Depuis les années 80, avec l’apparition du thème de la sécurité, s’est développé dans les populations, un réel sentiment d’insécurité (à force de matraquages médiatiques) qui a entraîné l’Etat à mettre en place des mesures pénales de plus en plus dures –notamment vis-à-vis de la jeunesse issue des « quartiers sensibles ». La réaction des jeunes traduit cette violence pénale qui leur est injustement faite.

En France, c’est lors des élections municipales de 1983 qu’apparaît pour la première fois, une campagne politique basée sur le thème de la sécurité. Par la suite, un certain nombre de politiciens se spécialisent dans les problèmes de sécurité avec l’aide d’experts professionnels en la matière. Alors que dans les années 70, il y avait un clivage Gauche-Droite sur la question (une Gauche garante de la Liberté et une Droite garante de la Sécurité), aujourd’hui, il y a un même combat contre l’insécurité et un effacement des idéologies.

En même temps se sont multipliés les consultants de sécurité urbaines (experts) qui tendent à donner des analyses catastrophiques des quartiers « sensibles ». Les solutions qu’ils préconisent (et qui sont écoutées par les politiques) sont uniquement conçues dans un but marchand : ces experts vendent leurs solutions. Leur but est le profit. Quant au syndicat des commissaires, son idéologie est celle de la « tolérance zéro ». Celui-ci prêchant une analyse catastrophique de la situation, il permet à la police d’obtenir des moyens financiers plus importants de la part de l’Etat.
 

Dans la pratique, un certain nombre d’effets apparaissent : le durcissement du traitement des populations des quartiers, avec un durcissement des termes employés pour les nommer, avec un armement spécifique utilisé par les policiers, et avec un durcissement pénal vis-à-vis des populations y habitant. On y procède à des comparutions immédiates (sans défense) que l’on appelle les TTR –Traitement en Temps Réel-. Les peines sont très lourdes. On assiste aussi à des extensions de la sphère pénale. Par exemple, pour une occupation abusive des halls d’immeubles, on intente des expulsions aux familles. A l’école, pour des infractions commises par un élève à l’intérieur d’un établissement, on déferre plus facilement au Parquet. Concernant les AEMO –Aides Educatives en Milieu Ouvert-, il y a 10 ans, 4/5 des cas concernait des traitements civils, alors qu’actuellement 4/5 des cas concerne des traitements pénaux. Jamais la Justice des mineurs n’a été aussi dure.
 

La France est le pays d’Europe où il y a, proportionnellement, le plus de policiers : un policier pour 220 personnes, alors qu’en Europe, la moyenne est de 1 pour 310. Malgré cela, le temps des procédures et enquêtes n’est pas suffisant. Les policiers sont beaucoup trop présents sur la voie publique (mise en place des TTR). Le prisme policier et pénal y est devenu le prisme primordial et le seul pertinent.
 

En conséquence, les « quartiers socialement en danger » sont devenus « les quartiers dangereux socialement ». Le discours politique sur ces quartiers tend à occulter d’autres problèmes. D’où une très grande inégalité de traitement entre les jeunes de ces quartiers et les autres , qui rend la société très injuste envers les premiers ; les causes sociales qui traduisent les malaises des quartiers sont pourtant bien identifiées par tout le monde. On assiste à un délitement du lien social par l’éclatement du collectif (les anciennes organisations ouvrières ont éclaté) mais, pour autant, des réponses de type social ne sont plus proposées par l’Etat. Il y a abandon du traitement social au profit d’un traitement sécuritaire.
 
 

Fabien Desgranges.
 
 
 
Bibliographie

· « la machine à punir – pratiques et discours sécuritaires » Collectif sous la direction de G. Sainati et de Laurent Bonelli – Ed. « l’Esprit frappeur » 2000
· « Révoltes dans les quartiers – Emeutes urbaines, violence sociale » par Stéphane Beaud et Michel Pialoux – le Monde Diplomatique juillet 2001-

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