Pour poursuivre le débat du bulletin n° 14 sur « Crise et déraison sécuritaire » Jean-Marie Bonnemayre a souhaité apporter un éclairage nouveau sur le thème
Société inégalitaire, société violente
 
La première des violences dont nous parlent les habitants des quartiers difficiles n’est pas celle que nous assènent les médias lorsqu’on parle des violences urbaines.

Ce sont d’abord les violences exercées par la société qui sont mises en avant et non les seuls phénomènes de délinquance. Le racisme, la violence du marché du travail, les frustrations liées à la société de consommation ou au cadre de vie sont, avant tout, des maux qui traversent l’ensemble du corps social.

Les racines du mal sont avant tout sociales : l’emploi et le travail sont considérés comme de forts éléments intégrateurs ;  or, le chômeur est dévalorisé et privé de reconnaissance et de dignité. Il habite la plupart du temps dans les quartiers en difficulté, quartiers de relégation devenus de véritables « lieux maudits ».

Le modèle consumériste décliné à longueur de temps dans notre société de consommation est également source de violence. Les étalages ostentatoires des produits de consommation à travers la publicité, les valeurs d’une société qui hiérarchisent socialement, attribuent la reconnaissance en fonction des choses possédées, les modes de vie qui en découlent valorisés par la communication moderne sont un véritable détonateur permanent : comment concilier ces valeurs dominantes et les situations de précarité dans lesquelles se retrouvent les habitants de ces quartiers ? Le contraste entre les symboles d’appartenance à la société de consommation et le manque de moyens des habitants sont alors intenables. La violence est alors un recours face à cette violence symbolique de l’ordre économique (d’où « l’horreur économique ») qui laisse à l’écart du modèle consumériste.

Et, si on doit incriminer les médias, et la télévision en particulier, c’est parce qu’ils diffusent à longueur de temps ces symboles d’appartenance et une esthétisation de la violence que certains sont tentés de reproduire dans la réalité.

Les habitants des quartiers défavorisés subissent à chaque instant la dévalorisation insidieuse d’un environnement dégradé, oppressant. La disparition des services publics, le manque d’espace, l’inadaptation des transports en commun, la pollution, l’architecture des grands ensembles, tout
est perçu comme un étouffoir où les incivilités peuvent se développer. Dans un cadre laissé en déshérence, les dégradations, les négligences prolifèrent et tendent les rapports entre voisins.

Parallèlement à cette violence sociale, les habitants ne manquent pas de souligner et de dénoncer les logiques institutionnelles qu’ils subissent de la part des administrations, des services sociaux, de la police.

S’il faut se garder de toute généralisation à l’égard du personnel de ces services, il n’empêche que, parfois à leur insu, et pour d’autres plus consciemment, ils sont traversés par la violence sociale, le racisme, les logiques d’exclusion et les transmettent.

Or, aux yeux du public, ils devraient représenter plus que d’autres, la légitimité républicaine et la volonté d’intégration laïque. Toute ségrégation, tout mépris, tout laisser-aller dans la mission de service public est alors ressentie comme particulièrement injuste, violente et cause de violence.

Le manque d’attention, l’absence de dialogue, la méfiance et le soupçon a priori sont vécus comme le refus de prendre en compte des situations particulièrement difficiles, voire comme si la pauvreté était attachée à la personne, inhérente à la personne, donc coupable. Beaucoup d’allocataires Rmistes, lorsque leur parole est libre, renvoient cela.

Laissés pour compte de notre société, coupés de toute possibilité de dialogue, privés de moyen d’expression (même si la loi sur l’exclusion représente un progrès considérable dans la représentation et l’expression des exclus), les habitants et particulièrement les jeunes revendiquent alors la violence comme seul  moyen de se faire entendre.

La violence est une réaction de désespoir, une abdication face aux forces sociales, administratives et économiques qui ne peuvent être contrariées.

La violence est un palliatif à la souffrance, c’est la seule manière de faire valoir ses droits, de combattre l’injustice, de pouvoir s’exprimer, de se faire entendre et craindre, faute de se faire respecter.

La violence ne résout rien, n’est pas efficace et se retourne en général contre son auteur.

Il n’y a pas de plus grande urgence que de comprendre (ce qui ne veut pas dire justifier et excuser) la partie sociale de la violence des banlieues. Il y a une violence subie qui ne dit pas son nom : la mise à l’écart de la société, le droit du plus fort, les logiques administratives et institutionnelles, la logique du guichet, le mépris, le racisme ; celle des promesses non tenues et des espoirs déçus ; celle de celui qui ne vous écoute pas parce que vous ne comptez pas, qui vous condamne sans comprendre ; celle de l’absence de réponse à vos questions, à vos incompréhensions.

C’est dire l’immense effort de rénovation des services publics qu’il faut entreprendre. Leur survie est sans doute à ce prix !

Prendre en compte les plus démunis, les plus fragiles ; s’adapter à ces usagers ; résoudre leurs problèmes en toute impartialité, sans préjugés avec une égalité de traitement pour tous.

Tel est le défi permanent des services publics. Tel est leur fondement toujours actuel : être porteurs d’égalité sociale.

Jean-Marie Bonnemayre
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