« Souffrance au travail et précarité »
 Suite à la conférence de Dominique Huez –médecin du travail , animateur de « Santé et Médecine du travail », réflexions rédigées par Paule Graouer.

Le travail est un élément central de notre santé et pourtant aujourd’hui « on crève au travail ». Dans un contexte de régressions sociales, l’organisation du travail devient de plus en plus totalitaire.

Entre nouveau management et précarisation, c’est le plus souvent en silence que la souffrance est vécue par les travailleurs. Atteintes organiques multiples ou décompensations psychiques, il devient urgent de donner un sens au mal-être qui envahit notre quotidien.
 

1 – Santé et maladie

La santé n’est pas, comme le dit la définition de l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Ce n’est pas non plus l’absence de maladie. La santé, c’est pour chacun d’entre nous, un cheminement qui nous permet de construire, de manière dynamique et originale, un bien-être sans cesse en devenir.

Ainsi, la maladie n’est pas un simple incident (ou accident) mécanique. Elle s’inscrit dans un processus qui peut être « processus de survie » pour la personne. La maladie peut ainsi être une forme d’appel ou un moyen de sortir d’un problème, ou d’un environnement pénible.

Dans le fonctionnement de la santé mentale, les deux piliers sont l’être, qui passe par la vie affective, le désir, le plaisir, et le faire, qui correspond à la contribution sociale, le regard des autres. Hors, aujourd’hui, dans le monde du travail, il est fait appel  à la notion de savoir-être afin d’augmenter la productivité. Les fondements même du psychisme s’en trouvent ébranlés.

2 – Pathologies du travail et précarisation

Pour Dominique Huez, « l’irruption en quelques années de la prise en compte de la précarisation du travail et de ses conséquences pour la santé, signe de la rupture de l’amélioration historique de la condition salariale depuis ses origines, constitue un fait majeur. C’est en définitive d’une réorganisation sociale générale du travail qu’il s’agit, d’un processus de précarisation sociale de grande ampleur. »

Incertitudes pour l’avenir, intensification des rythmes de travail, amplitudes horaires excessives, toutes ces contraintes nuisent à la construction identitaire de l’individu et à son équilibre physiologique.

En matière d’exposition aux produits chimiques ou aux rayons ionisants, les salariés précaires sont en première ligne, ainsi que dans les travaux faisant appel à des gestes répétitifs. Les lésions articulaires par efforts répétitifs sont depuis quelques années la source la plus importante de maladies professionnelles reconnues. Au niveau respiratoire, l’asthme professionnel est la maladie la plus fréquente dans le monde du travail. On compte plusieurs milliers de nouveaux cas par an. Quant aux cancers professionnels, on estime à un million le nombre de salariés exposés à des cancérogènes avérés pour l’homme.  Mais il y a encore plus d’un millier de substances cancérogènes aux effets démontrés pour l’animal qui sont employés dans l’industrie et dont les salariés exposés n’ont pas encore été dénombrés. Et ces risques sont loin d’être abordés ouvertement. Seulement 10 000 cancers professionnels sont reconnus par an.

Quoiqu’il en soit, il est évident que c’est au bas de l’échelle sociale que la souffrance est la plus grande. Par exemple, le risque d’être atteint d’un cancer du poumon est trois fois plus important chez un ouvrier que chez un cadre. Et, 10 à 15 % des cancers sont liés aux conditions de travail.

3 – Santé mentale et travail

Outre des troubles psychosomatiques importants, on assiste à une recrudescence de tentatives de suicide, de consommations de substances à visée psychotrope, légales ou illégales, médicalisées ou non, de décompensations psychiatriques ou dépressions nerveuses. De plus, l’organisation du travail entrave la construction d’identités collectives, de solidarité. L’individu se retrouve isolé et grandement fragilisé.
 

Conclusion

A l’aube du XXIème siècle, se met en place une remarquable dégradation des conditions de travail, ayant des conséquences dramatiques sur la santé et la vie d’une majorité de gens. L’intrusion du taylorisme dans le secteur tertiaire provoque des pathologies qui, jusqu’à ce jour, étaient l’apanage du monde industriel.

Il nous est demandé d’abandonner notre citoyenneté aux portes de l’entreprise, pour accepter le pire, tels l’humiliation et le harcèlement. « Pour de nombreux travailleurs, il y a perte de citoyenneté et soumission de plus en plus importante à l’arbitraire au nom d’un inéluctable économique jamais discuté qui devient la pierre angulaire de notre système de valeurs, l’Homme n’étant plus qu’un moyen ».(1)

L’idéologie dominante fait complètement l’impasse sur le vécu du travail. Elle exalte les valeurs de courage et de virilité qui empêchent le salarié de s’arrêter sur sa souffrance et de l’exprimer.

L’idéologie managériale va jusqu’à instrumentaliser le psychisme de l’individu au profit de l’entreprise (savoir-être contre savoir-faire). Pourtant, peu de gens « craquent » sur leur lieu de travail. Les procédures défensives, collectives ou individuelles, les en empêchent, mais permettent à ces situations de perdurer.

Il est urgent de sortir le travail de cet « impensé » construit par l’idéologie dominante. Car il ne pourra y avoir de renouveau social que lorsque nous serons capables de resocialiser la souffrance au travail et de la restituer au cœur du débat contemporain.

Paule Graouer
 

(1) Appay B, Thiebaud – Mony A (dir) – “Précarisation sociale, travail et santé” Paris, Ed. du CNRS, Iresco, 1997