Le terrorisme, produit du capitalisme ?
        Contribution de Jean-Louis Guinard
 

Il y a 2 400 ans, Aristote, dans ses Pensées, écrivait : « L’Homme est un animal politique ». Ce qui veut dire que l’Homme vit en société avec de très fortes interactions entre les individus. D’une part, les interactions de coopération améliorent considérablement les conditions de vie matérielles, culturelles, affectives… Mais, d’autre part, surgissent des problèmes relationnels non négligeables : inégalités, tyrannies, guerres et …terrorismes. L’Homme est peut-être bien le plus politique de tous les animaux !

Définir le terrorisme n’est pas évident, malgré l’emploi fréquent du mot. Tout acte suffisamment violent pour inspirer la terreur ? Certes, mais encore ? Son but ne doit pas être a priori financier mais politique. Du point de vue de l’ampleur, le terrorisme ne doit pas être ni trop petit (cas d’un lycéen américain qui « pète les plombs » et tire sur tout ce qui bouge), ni trop grand, car alors, on parle de guerre. Enfin, puisque nous traitons de l’humain, l’objectivité n’est pas facile : les mêmes faits en Algérie de 1954 à 1962 étaient qualifiés en métropole de terrorisme et l’action de l’armée, de pacification (500 000 morts cependant !). Pour les Algériens, ces « terroristes » étaient des combattants de la libération et ceux qui mouraient, des martyrs.

En « apéritif », citons encore deux « pensées » (je suis généreux !) sur le terrorisme. L’une de Pasqua, motivé par la Corse « il faut terroriser les terroristes », l’autre de Bush au lendemain du 11 septembre « il faut faire la guerre au terrorisme jusqu’à son éradication complète ».

Ainsi, 2001 pourrait-il marquer la fin d’un phénomène universel, plus que millénaire ? Quelle chance nous avons !

Pour serrer à l’actualité, nous nous limiterons au rapport du terrorisme avec les démocraties libérales et au premier chef, les USA. Nous adopterons alors dans ce cadre comme définition : le terrorisme est un acte de violence à but politique, ni trop petit ni trop grand et s’oppose à l’Etat de Droit démocratique, celui qui, en principe, vient du peuple (démos).
 

Les différentes sortes de terrorisme

1 – Le terrorisme est-il toujours condamnable quels que soient les buts, causes et résultats ?

Prenons 3 exemples :

Le peuple palestinien doit-il attendre encore 50 autres années pour que son droit soit reconnu, que les résolutions de l’ONU en sa faveur et celles contraignant Israël soient appliquées ? Et si les USA, avec Israël, condamnent ce terrorisme palestinien, pourquoi restent-ils inactifs quand Israël avec des armes américaines (avions, hélicoptères, missiles) exerce un autre terrorisme en éliminant, sans jugement, des dirigeants politiques palestiniens ?

 Le « terrorisme intellectuel » des philosophes des Lumières (Diderot embastillé, Rousseau et Voltaire exilés) a bien contribué à la Révolution de 1789 : suppression de la royauté absolue. Qui trouve à redire et n’est pas pour la République aujourd’hui ?

De nombreux anciens terroristes sont devenus Chefs d’Etat, reconnus internationalement : Ben Bella, Boumédienne, Bouteflika , le Premier ministre d’Israël, Mandela (de plus, prix nobel de la Paix). Sans parler de De Gaulle, chef terroriste pour Vichy. Tous les chefs d’Etat qui comptent étaient même à son enterrement à Notre Dame de Paris !

La condamnation du terrorisme, tous azimuts, n’est donc pas aussi évidente que Bush et ses  acolytes voudraient nous le faire croire.

2 – Le terrorisme subi par un Etat.

Les exemples ne manquent pas. Cas de la France : mort du Préfet Erignac. Cas des USA : attentats contre un bateau de guerre dans le port d’Aden (17 morts), contre des bâtiments occupés par des Américains (souvent des militaires) au Liban, au Soudan, en Arabie Saoudite, Somalie…(des centaines de morts). Enfin, attentats du 11 septembre.

Ce terrorisme est une réalité, relaté (en boucle) par les médias, les dirigeants. C’est celui de la pensée unique.

3 – Mais, il existe aussi un autre terrorisme (à l’opposé), celui exercé par un Etat.

Que des dictateurs soient des terroristes qui ne respectent pas l’ordre démocratique, c’est une évidence. Mais, malheureusement, dans nos démocraties libérales, le pouvoir peut aussi être terroriste, violant alors sa propre légalité. Surprenant, décevant, mais les exemples ne manquent pas.

Cas de la France : le Préfet Bonnet et ses paillotes (o mort) : la destruction du Rainbow Warrior (1 mort) ; la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie (1 quinzaine de morts en partie exécutés après reddition) : le 17 octobre 1961 (des centaines de morts) ; Algérie 1954-1962 (des centaines de milliers de morts).

Cas des USA : l’ensemble de la politique extérieure est accompagnée d’actions terroristes.

- au Chili, Pinochet n’aurait jamais pu prendre le pouvoir, un autre 11 septembre…(1973), sans l’appui des USA

- En Amérique centrale : Nicaragua (appui à la Contra) ; Panama (Noriéga) ; Guatémala… Des dizaines de milliers de morts à chaque fois.
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- En Asie, d’Ouest en Est : Liban, Israël, Irak, Iran (Mossadegh 1953), Afghanistan, Indonésie (500 000 morts pour soutenir un dictateur)…

Pour les USA, de 1950 à 1990, la grande motivation était l’anticommunisme. Ignacio Ramonet, pourra ironiser (in Le  Monde Diplomatique, octobre 2001) « Si vous avez aimé l’anticommunisme, vous allez adorer l’anti-islamisme ».

A Belfort, le discours imaginé au sommet, pourrait être « Dans l’intérêt supérieur de la Nation…ou mieux de la France ». Supérieur à quoi ? Sinon à l’ordre démocratique !

Bien sûr, médias et dirigeants sont assez discrets sur ce genre de terrorisme et pour cause. Surtout si le terrorisme est celui exercé par leur pays.
 

Le terrorisme comme manipulation

Idée à suivre : Dans les dictatures (évidence !) mais aussi dans les « démocraties libérales », il y a une coupure entre ceux qui ont le pouvoir et le peuple.

Le pouvoir économico-financier a le vent en poupe. Il veut marchandiser la société et même l’ensemble du monde. Ce pouvoir n’est pas du tout démocratique. Résumons : dans les Conseils d’Administration, pas d’action = 0 voix, 1 action = 1 voix ; 1 million d’actions = 1 million de voix. C’est, en pire, le suffrage censitaire du 19ème siècle.

Le pouvoir politique lui, en principe, vient du peuple. Il est en perte de vitesse. Depuis 20 ans, il s’autosuicide (pléonasme) avec les privatisations industrielles, bancaires. Par en haut, il est chapeauté par des organismes internationaux (FMI, OMC, Banque Mondiale…) qui ne rendent que peu de comptes aux peuples. Pire, ce pouvoir politique  (les hommes et les partis) est financé (acheté, vendu) par les grandes entreprises (c’est officiel aux USA ; ça l’est moins en France). Même le pouvoir judiciaire, cher à Montesquieu, peut être gangrené au sommet (Roland Dumas).
 Bref ! « Ne désespérons pas trop Billancourt » mais contentons-nous de dire : Les responsabilités…entre autres dans le terrorisme, sont à la hauteur des pouvoirs que l’on détient.
Il en résulte que l’on peut, avec nos sociétés duales, prendre l’image de la marionnette avec ceux d’en haut (le pouvoir politico-économico-financier), ceux d’en bas (le peuple) et les ficelles de transmission.

Ceux du sommet ont des intérêts puissants économiques, stratégiques, dominateurs. C’est le cas du pétrole avec les USA au Moyen-Orient et aujourd’hui en Afghanistan (comment évacuer le pétrole de la Caspienne). C’est aussi le cas de la société ELF participant au Congo, grâce à ses hélicoptères…, à une guerre civile qui fera des millions d’assassinés.
 

Parmi les ficelles utilisées, citons :

- le propagande (Berlusconi)
- les religions ; comme naguère dans les croisades, l’Islam et les religions chrétiennes servent à nouveau tant du côté Ben Laden (évident) que du côté Bush : forces du Bien, combattre le Mal, croisades, prières en public, fréquentation des églises en hausse de 30 % depuis le 11 septembre, union sacrée…
- le racisme, la xénophobie, le nationalisme (drapeau américain omniprésent en Amérique)

Du côté de la base. Les terroristes sont d’autant plus faciles à recruter que règnent la misère, la famine, la drogue, l’obscurantisme, les inégalités…tous domaines où les responsabilités du système actuel dominant, le capitalisme, sont grandes. Dans ce schéma du terrorisme, comme dans les guerres, les peuples jouent le rôle de chair à canon.

Le terrorisme est subi par des gens innocents et tués au profit de gens qui se connaissent et la plupart du temps ne s’entretuent pas. Le régime de Sadam Hussein a été épargné mais l’embargo des USA frappe très durement le peuple depuis 10 ans. Voilà pourquoi nous sommes contre ce genre de terrorisme.
 

Changer la donne

La réponse au terrorisme ne peut être le contre-terrorisme, encore moins la guerre. C’est ajouter une violence encore plus grande. Non aux tapis de bombes de B 52 (certes aucun aviateur tué, 0 mort, mais combien d’innocents). L’ordre démocratique dans nos pays ne peut qu’y perdre : bourrage de crâne pendant la guerre du Golfe, censure des chaînes de TV américaine actuellement, droits des citoyens écornés aux USA et en France (perquisitions). Et ceux qui emploient, comme Bush et compagnie, des moyens aussi barbares que la guerre n’ont guère de leçons de compassion, d’humanité et de morale à nous donner.

Lutter contre le terrorisme, c’est lutter contre les causes qui l’engendrent. D’où la responsabilité du système actuel, le capitalisme, y compris sous sa forme libérale. Depuis quelques siècles, les peuples ont su, souvent dans la douleur, conquérir de nouveaux droits : politiques avec un début de démocratie, économiques avec plus de bien-être, sociaux avec les couvertures maladie, les retraites, etc… Mais, il semble bien que depuis 30 ans (1973) il y ait régression : chômage, flexibilité, précarité, inégalités renforcées dans et  entre les pays, démocratie malmenée. Si nous n’y faisons obstacle, capitalisme et barbarie peuvent revenir à l’ordre du jour et la démocratie être en péril.

Et pourtant, raison d’espoir, les salariés n’ont jamais été si nombreux, si qualifiés, si éduqués.

Nous ne sommes pas tous des Américains…pas plus que nous ne serions tous de Français, le cas échéant. Oui à la solidarité des peuples et mieux, à celle des travailleurs, car dans les peuples, le capitalisme a su introduire une fraction de rentiers, d’inutiles… On retrouve ainsi un vieux slogan, celui de Marx « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ». Donc, vive l’Internationale et vive la Mondialisation, la nôtre.

Jean-Louis Guinard