Résister ne suffit plus, il faut proposer un autre mode de développement

C’est Narcisso le boiteux qui a donné l’alerte, je me souviens  comme si c’était hier de ce jour maudit. Il crachait sous le soleil, sur le chemin de la colline, lorsqu’il a aperçu la pulvérulente traînée. Ce qu’il faisait sur ce sentier n’a d’ailleurs, plus de quinze ans après, jamais été élucidé… Toujours est-il que le tourbillon de poussière qui traversait lentement la plaine avait intrigué Narciso. Il s’était précipité de toute la vitesse de sa patte folle pour prévenir les notables qui se trouvaient, comme tous les jours à la même heure, dans la taverne de Martinez.
Une auto se dirigeant vers Rivière-des-Gueux, ce village du bout du monde, là où le Diable a perdu sa queue ! Mis à part le car déglingué du lundi et le camion ferraillant du borgne, le fait était si rare qu’on pensa d’abord faire sonner les cloches à toute volée. Il avait fallu que le maréchal-ferrant, une fois n’est pas coutume, fasse entendre la voix du bon sens.
     - Je vous rappelle qu’il n’y a plus de cloche dans le clocher depuis l’orage de la Saint-Jean !…
Mais l’important n’est pas là. Car, de l’arrière du véhicule, un homme s’était extirpé. A l’évidence un étranger. Repérant la haute taille du maréchal-ferrant, le nouveau venu s’adressa d’instinct à ce dernier, lui tendant une carte de visite de peu d’utilité – ce grand con est aussi analphabète que son enclume, tout le monde le sait.
 - Pouvez-vous me dire où se trouve le maire de cette décharge publique ? avait-il interrogé avec un accent à découper à la machette, après un regard écoeuré sur notre misérable urbanisation.
- Don Fernando
-  …
 - Le gamin de Liberdad va vous emmener, avait ricané l’abruti en me désignant du doigt, tandis que le maréchal-ferrant tournait et retournait le bristol d’un air emmerdé.
- Qu’est-ce qu’il y a marqué ? avait-il fini par mendier.
Je connaissais l’alphabet, savais signer de mon nom, on me trouvait très intelligent. J’avais déchiffré en prenant mon temps :
F. Emmy
(Northern Imperial Bank, Inc.)

Extraits de “la Dette” de Maurice Lemoine, journaliste au Monde Diplomatique, voyageur engagé, qui parcourt depuis trente ans l’Amérique latine et les Antilles.
 

C’est le roman des paysans du Brésil, de leur misère, de leurs luttes, de leurs résistances et des répressions du pouvoir en place. Il l’a dédié, entre autres, aux 2 003 posseiros, paysans sans terre, Indiens, avocats, prêtres, religieuses et autres leaders travaillant à la défense des droits des paysans, assassinés au Brésil du 1er janvier 1964 au 31 décembre 1999, au père Josimo Morais Tavares, exécuté par les tueurs à gages à la solde des grands propriétaires terriens, le 10 mai 1986, à Expedito Ribeiro de Souza abattu le 2 février 1991… Depuis quasiment quarante ans, aucune politique agraire des gouvernements successifs n’a pu –et surtout voulu- tenir compte de la situation dramatique des 4 millions de familles de ruraux sans terre. Le Brésil veut, avant tout s’insérer dans l’économie globalisée. Les rentrées de devises permettent de payer…la dette extérieure.
Le Mouvement des sans-terre (MST), né en 1984, mène des actions « d’occupation » de grandes propriétés improductives. Il est devenu le mouvement populaire le plus important d’Amérique latine. Il est présent dans le mouvement de résistance mondiale à l’ultralibéralisme et sera là au 2ème Forum Social Mondial de Porto Alegre fin janvier 2002.

D’autres mouvements de résistance mondiale dénoncent les effets dévastateurs de la dette.

 Le Mouvement international Via Campesina, né en 1992, auquel adhèrent 70 organisations agricoles et paysannes d’Asie, d’Europe, des deux Amériques, d’Afrique et d’Asie. Via Campesina rejette les politiques imposées par la Banque Mondiale et le FMI qui poussent les pays à produire pour l’exportation, au détriment de la production alimentaire domestique.

Le CADTM –Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde – Il existe depuis dix ans et a immédiatement été tourné vers un travail internationaliste, pour un autre développement. Belge à l’origine, le comité s’est développé en Afrique, en Inde, en Amérique latine et en Europe. Son action d’information et de mobilisation (par la revue « les Autres voix de la Planète », des publications et des conférences), a contribué à faire connaître très tôt les conséquences néfastes de la mondialisation et plus particulièrement, de l’endettement des pays du Sud.

 Selon le FMI, cité par le CADTM, entre 1980 et 1999, les pays du Tiers Monde ont remboursé 3 350 milliards de dollars, soit six fois plus que ce qu’ils devaient en 1980 ; cette dette du Tiers Monde est passée de 527,5 milliards de dollars à 2 041,8 milliards de dollars entre 1980 et 1999 (cadtm info, 1er trimestre 2001). Les riches continuent de s’enrichir rapidement et la pauvreté s’accélère dans les pays pauvres. La fortune des trois personnes les plus riches du monde dépasse le PNB cumulé du groupe des pays les moins avancés, soit  41 % de la population mondiale.

Un large mouvement citoyen s’est mobilisé pour mettre en cause la mondialisation ultralibérale, mettre l’accent sur ses effets dévastateurs. La convergence des diverses campagnes menées inlassablement, en synergie avec Via Campesina, ATTAC, Jubilé Sud, Focus on the Global South, la marche mondiale des femmes…, a modifié la scène internationale depuis 1995. De Madrid, avec les manifestations « Cinquante ans, ça suffit ! » à l’occasion du cinquantenaire de Bretton Woods, à Seattle, Washington, Prague, Nice, Porto Alegre, Gênes, Laeken, la contestation a obligé les grands de ce monde à ravaler leur autosatisfaction.  Elle a mis en lumière les centres de décisions et les responsables : les institutions financières internationales, les Etats du  Nord, et plus particulièrement les gouvernements des pays dominants qui se retrouvent au G8 et dans l’OCDE, ceux des gouvernants des pays du Sud qui se maintiennent au pouvoir par des régimes répressifs, les marchés financiers et leurs opérateurs, les entreprises multinationales qui tentent de réduire le pouvoir des Etats. Chaque campagne est spécifique mais s’insère dans un mouvement global ; ainsi, la campagne contre la dette rallie  les mouvements de solidarité internationale, puis les églises, puis les syndicats ; la remise en cause des marchés financiers s’organise autour des syndicats, des mouvements politiques, des mouvements de lutte contre les exclusions ; la mise en cause de l’OMC met en scène la relation entre mouvements écologistes et de consommateurs et les associations de travailleurs et de producteurs, notamment les paysans.

Un vaste mouvement d’espoir a redonné un souffle à l’idée qu’un autre monde est possible. Cependant, sur le plan des décisions politiques, les chefs d’Etat des pays riches, lors du G8 à Gênes,  se sont contentés d’ effets d’annonce, se limitant à encenser des mesures « cosmétiques » pour les pays pauvres très endettés.  Face à ces blocages, « il nous revient de construire une opinion publique internationale indispensable à une progression politique qui ne se réduise pas aux institutions inter-étatiques et aux représentants du pouvoir économique. La légitimité de la mobilisation internationale peut s’appuyer sur des orientations qui concrétisent les principes d’une alternative et peuvent donner leur cohérence aux propositions : redistribution internationale des richesses, droit international et possibilité de recours pour les citoyens, contrôle démocratique des instances de régulation, coresponsabilité entre le Nord et le Sud, subordination de la logique des marchés aux respects des droits de l’Homme » Gustave Massiah –Président de l’AITEC (association des techniciens, experts et chercheurs, du CRID (centre de recherche et d’information pour le développement) et membre du Conseil scientifique d’ATTAC.

Plusieurs occasions, en 2002, sur la scène internationale permettront d’approfondir les propositions, de renforcer leur cohérence. Le Forum Social Mondial 2 de Porto Alegre, le sommet de l’ONU sur le financement du développement à Mexico du 18 au 22  mars 2002, la conférence Rio + 10 (conférence de Johannesbourg) en septembre 2002 sur le développement durable.

Odile Mangeot

Bibliographie
- « Le bateau ivre de la mondialisation- Escales au sein du village planétaire », sous la direction d’Eric Toussaint et Arnaud Zacharie – CADTM – ed. Syllepse, 2000
-  « Afrique : abolir la dette pour libérer le développement » CADTM- ed. Syllepse,  2001
- « La bourse ou la vie : la finance contre les peuples », Eric Toussaint – éd. Syllepse, Luc Pire - 1999
-  « FMI : les peuples entrent en résistance », coproduction  ATTAC, CADTM, CETIM, Syllepse  2000
- « L’envers de la dette – Criminalité politique et économique au Congo Brazza et en Angola » François-Xavier Verschave – ed. Agone 2001
- « La mondialisation de la pauvreté » Michel Chossudovsky – ed. Ecosociété – 1998
et, deux romans :
- « La dette » Maurice Lemoine – ed. l’Atalante, coll. « Comme un accordéon » - 2001
- « La constance du jardinier » John le Carré – sur la face cachée de la mondialisation via les machinations des multinationales pharmaceutiques – ed. Seuil - 2001