" Le peuple d’en bas " (1)
par Odile Mangeot

" Il est indispensable qu’on chasse des postes de commandement tous ces gestionnaires qui ont stupidement et criminellement mené l’empire au bord de la faillite. Ils ont fait un travail de sape et se sont montrés particulièrement inefficaces, et ils ont, de plus, détourné les fonds publics. Chacun de ces individus exsangues, de ces pauvres au visage de papier mâché, chacun de ces aveugles et de ces enfants nés en prison, chaque homme, chaque femme, chacun de ces gosses dont le ventre est torturé par les affres de la faim, a faim simplement parce que les fonds communs ont été détournés par tous ces gestionnaires.

Aucun des responsables de cette classe de gestionnaires ne peut plaider non coupable à la barre du tribunal de l’Humanité. Les vivants dans leurs maisons – les morts dans leurs tombes. Cette toute petite notion de bon sens est remise en question par chaque bébé qui meurt de malnutrition, par chaque jeune fille qui s’enfuit de l’atelier où on l’exploite pour arpenter la nuit les alentours de Piccadilly, par chaque travailleur sans emploi qui, désespéré, plonge dans le canal pour y trouver la mort. La nourriture même que cette classe dirigeante mange, le vin qu’elle boit et tout l’étalage des beaux vêtements qu’elle porte sont un défi aux huit millions de bouches qui n’ont jamais mangé à satiété, et aux seize millions de corps qui n’ont jamais pu bénéficier de vêtements corrects ou de logements suffisants " Jack London – 1902 (1)

Markus Drake, au nom du Mouvement de désobéissance d’Helsinki, témoigne lors du Forum Social Européen à Florence en novembre 2002 : au pays modèle du welfare (bien-être) nordique, aux environs de la capitale finlandaise, 10 000 Sans Domicile Fixe vivent dans les bois tout au long de l’année ; ils se mettent à " envahir " Helsinki dès que le froid approche. Sous les ponts, des feux sont allumés pour les réchauffer . " Notre mouvement veut rendre visibles ceux que le système veut rendre invisibles. Par exemple, le jour de la fête nationale en Finlande, nous organisons une protestation pour ceux qui ne sont ni " l’élite ", ni " les couches acceptables " de la société du système socio-démocrate, souvent cité comme un modèle d’Etat-Providence !!!"

Dans tous les pays de l’Europe prospère, l’on assiste à une montée des " exclus " des " sans droit " des " sans papier " des " sans logement ", ceux qui se rassemblent dans le mouvement européen " No vox ".

Des actes sont posés par nos Gouvernements pour remodeler les droits sociaux. En remplaçant "  le droit au travail " par " le droit de travailler ", tous les Gouvernements, approuvant la " Charte européenne des Droits fondamentaux " à Nice, en décembre 2001, ont accepté le recul du droit au travail et des droits sociaux, la " renaissance " d’un sous prolétariat, constitué des " inutiles " au système de production, donc " inutiles " à notre monde marchand. Le risque est grand que ces reculs constituent maintenant une partie du préambule de la Constitution européenne en discussion, sous la houlette de Valery Giscard d’Estaing.

Jean-Claude Amara -Droits devant- également présent au FSE de Florence, affirme que les syndicats ont " failli " dans la prise en compte des exclus et des " sans droit ". Ils sont " absents " dans le combat pour les " sans papier ", " sans travail ", " sans logement ", " sans voix ". " Nous ne changerons pas le monde si les " sans droit " ne se mobilisent pas "  car la liberté de tous se joue sur le terrain des droits et de la justice. En ne se battant pas suffisamment pour les droits des " sans toit " " sans droit " " sans voix ", nous favorisons le recul des droits de tous. Ainsi, l’Accord Général du Commerce de Services – concocté par l’OMC – pourra permettre aux employeurs d’importer du personnel, sous contrat établi selon les règles du pays d’origine, ne répondant pas aux réglementations salariales et sociales du pays d’accueil. C’est la porte ouverte à tous les reculs pour tous – travailleurs et chômeurs – car cet AGCS permettra la mobilité contractuelle, l’alignement par le bas des salaires et des protections sociales. C’est cette Europe là qui est en marche.

Parallèlement, l’on assiste à une politique répressive en Europe par la création d’une " zone de sécurité européenne ", par le contrôle social généralisé, par la répression et la restriction des droits des individus, par la criminalisation des conflits sociaux. L’Europe forteresse bafoue les droits des étrangers. L’Europe de Schengen " affine " ses outils pour exploiter les travailleurs immigrés ou rejeter ceux qui ne seraient pas productifs, " harmonise " ses actions de plus en plus répressives.

En Italie, le 15 novembre 2002, juste après l’éclatante réussite du FSE, insupportable aux yeux de Berlusconi, 20 militants contre la mondialisation capitaliste ont été arrêtés pour subversion de l’ordre économique !  Ces arrestations se produisent dans le cadre d’une vaste enquête policière et judiciaire sur les différents réseaux du mouvement ; elle a pour but explicite de criminaliser le secteur " Désobéissant " pour intimider et démobiliser tout le reste. Les chefs d’accusation (subvertir violemment l’ordre économique) retenus contre nos camarades italiens reprennent les articles 270 à 272 du Code pénal italien, dont l’auteur est l’éminent pénaliste fasciste Arturo Rocco -ministre de la Justice de Mussolini- dont le but, à l’époque, dans le cadre de l’instauration de l’Etat fasciste, était de liquider toute forme organisée du mouvement ouvrier. " Dans le droit pénal fasciste, comme dans la nouvelle législation antiterroriste qui se généralise depuis l’apparition de mouvements de contestation de l’ordre néolibéral, et avec plus de virulence encore après le 11 septembre 2001, l’intention est un élément fondamental de l’inculpation… La violence, d’autre part, n’est définie nulle part… La désobéissance civile ou le simple fait de contester ou de faire obstacle à des actes de Gouvernement sont assimilés à de la subversion … Nous ne pouvons tolérer l’amalgame entre la résistance sociale, l’activisme révolutionnaire et le terrorisme. " John Brown - Grain de sable ATTAC n° 383 du 29.11.2002

Au moment où tous les amalgames sont possibles entre terrorisme et islamisme, permettant au Gouvernement Bush de programmer une guerre " préventive " contre l’Irak, au moment où le Congrès des Etats-Unis est appelé à légaliser un projet titanesque de contrôle social à l’échelon planétaire, sous prétexte de protéger les citoyens honnêtes, qui, eux, n’auraient rien à craindre (voir article " l’œil du Pentagone "), il est urgent que les mouvements de résistance à la globalisation se renforcent de militants de plus en plus nombreux, de plus en plus jeunes. C’est tout l’espoir que nous a donné le Forum Social Européen.

 
Odile Mangeot

(1) titre du roman-récit de Jack London, qui, en 1902, déguisé en clochard, se perd pendant trois mois dans les bas-fonds de Londres et en rapporte un témoignage terrifiant. – ed. Phébus libretto