L’Histoire nous montre bien à quel point il a toujours existé, dès la naissance du régime parlementaire, un fossé entre, d’une part, les partis politiques (censés représenter les électeurs) et, d’autre part, ces mêmes électeurs, citoyens de l’Etat constitué. Comme les partis politiques ont pour but premier la prise du pourvoir par les élections, ils se sont enfermés, petit à petit, dans cette logique, avec pour nécessité absolue, la victoire électorale, quitte à adapter rapidement leur discours, voire à se refuser à l’appliquer lors de l’accession au pouvoir.
Les partis politiques dominants ne font plus que de la " représentation politique ", c’est-à-dire du marketing politique. Par conséquent, le débat est masqué et même détourné, au seul profit d’une image " de marque ", d’un culte de la personnalité, pour certains, et de sempiternelles idées toutes faites, imitant soi-disant le bon sens populaire. Dans cet état d’esprit, on discerne bien la coupure avec la société ambiante, réelle, dans laquelle chaque citoyen baigne quotidiennement. On constate à quel point les partis sont d’énormes " machines " fonctionnant selon un mode bureaucratique où la parole n’est pas laissée au militant ou au citoyen, pour engager de véritables débats. Le consensus par rapport à certaines idées ou certains " leaders " règne : point le droit d’y toucher sous peine d’être écarté du parti.
Il n’y a rien de nouveau dans tout cela, mais, depuis un certain nombre d’années, on assiste à une usure du régime parlementaire et, à travers lui, des partis politiques. On voit, à travers la montée de l’abstention et du vote nul, le non intérêt pour la politique et la résignation de l’électorat (35 % de votants aux USA en 2000, 55 % en France, pour les élections présidentielles).
Même si, pour l’instant, le régime parlementaire est le " moins pire des systèmes ", il n’en demeure pas moins qu’il est de plus en plus miné et devient carrément anti-démocratique, puisque nos élus représentent une petite partie de l’électorat. De cela ils ne veulent pas entendre parler si ce n’est en faisant la morale aux abstentionnistes et aux votes extrémistes. C’est oublier que chaque personne, même si elle ne vote pas, n’est pas entièrement dupe du traquenard dans lequel on l’attire et refuse souvent même d’y participer.
Afin de maintenir une certaine " élite " politique avec ses réseaux, son conservatisme social ( de Droite comme de Gauche) et sa " bonne " morale, les partis politiques esquissent les débats et enjeux du monde. On assiste à la fois à l’autocongratulation des chefs lors de grands messes médiatiques et de l’autre côté, à leurs querelles intestines et déchirements lorsqu’il s’agit d’obtenir un poste ou d’être candidat … Les moyens d’obtenir de véritables avancées dans la société sont peu discutés à l’intérieur des partis et il reste un " pseudo discours " de surface, une belle vitrine, sans de réelles implications militantes et de débouchés progressistes.
De fait, depuis les années 80, s’est institué un travail de sape contre tous les acquis sociaux obtenus à travers l’Histoire. L’origine de ce phénomène est à chercher dans les fondations anglo-saxonnes libérales (think tank), créées depuis le début du siècle et qui ont été fort actives dans la propagation de leurs idées depuis 1945. Dans les années 80, avec l’ère Reagan et Thatcher, on passe à l’application pure et dure de ces thèses et le résultat en est le démantèlement de toutes les solidarités et de " l’Etat social ". L’objectif est l’instauration du système néo-libéral au niveau planétaire et cela, avec ou sans l’accord des populations. Les partis politiques, qui se sont succédé au pouvoir dans les différents pays européens, n’ont jamais remis en cause cette évolution et ne sont parvenus que très tardivement à en parler, voire à en faire une critique. Ils n’ont fait qu’accompagner ce système économique pour arriver finalement à défendre un système devenu maintenant ultra-libéral.
Il est de bon ton, alors, de chercher " des solutions adéquates à chaque problème, adaptées à chacun " qui n’ont comme but que d’atténuer les malheurs ou d’empêcher purement et simplement les gens de réagir. Le présupposé fondamental dans cette société néo-libérale est que l’Homme n’est pas (ou plus) au centre d’un projet de société. C’est encore et toujours l’économie avec tous ses paramètres, calculs … qui doit décider pour le bénéfice de quelques uns. Les partis politiques, d’ailleurs, dans leurs programmes, ne parlent bientôt plus que de gestion.
Il n’y a rien de fatal dans tout cela et le fait déjà
de le comprendre nous fait réagir. A nous tous de dénoncer
toutes les atteintes portées à la vie et à la dignité
humaine, ici et ailleurs, afin de commencer à inverser le sens de
l’Histoire.
Fabien Desgranges