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Vers un Etat policier ?

Intervention de Paule Graouer le 18 décembre 2002

 

" Il est évident que tous ces jeunes, en recherche identitaire, ne s’aiment pas et sont marqués par la haine et le rejet, avec des réactions défensives à fleur de peau. La révolte gronde sans pouvoir dire son nom et se retourne souvent contre eux-mêmes, en dépit des apparences. La relation véritable avec un adulte qui les écoute, les encouragements, les félicitations, changent leurs visages. Ils redeviennent ce qu’ils ont le plus souvent cessé d’être : des enfants en quête de reconnaissance et d’amour ". M. Chenut, Directeur du CER à St Gaudens

Introduction

" Nous voulons passer d’une stratégie défensive à une conception offensive pour porter le fer dans les zones de non-droit. Il faut aller chercher et combattre les délinquants et les mafias sans attendre que des victimes donnent l’opportunité de le faire ". Déclaration de N. Sarkozy dans Le Monde du 31 mai 2002.

Effectivement, omniprésent et hypermédiatisé, M. Sarkozy a attaqué sur tous les fronts : descentes de police musclées dans les quartiers, lois anti-pauvres, atteinte à la vie privée, destruction de bidonvilles, notre Ministre est devenu le superman contre la délinquance. Ouf ! Les Français sont enfin rassurés : on s’occupe sérieusement de leur sécurité. Or, dans une société où règnent le chômage, le racisme et la précarité et où, chaque année, on décompte environ 600 homicides volontaires pour 25 000 homicides et blessures involontaires par accidents de la route, 12 000 suicides et plus de 100 000 tentatives, il est essentiel d’analyser un discours et des pratiques qui ne sont, en fait, que le prolongement d’une politique mise en place par la Gauche, et qui mettent en danger la notion même de démocratie.

 

I – Comment la sécurité est devenue une valeur de Gauche

  • La sécurité : une valeur sûre
  • Puissamment relayé par des médias à l’affût de faits divers racoleurs, c’est en juin 97 que le discours d’orientation générale de Lionel Jospin est particulièrement clair : " La lutte contre l’insécurité sera, après l’emploi, la deuxième priorité du Gouvernement ". Puis, en octobre 97, au Congrès de Villepinte, L. Jospin et JP Chevènement, invoquant le " droit à la sûreté " de la Déclaration des Droits de l’Homme, déclarent que " la sécurité est une valeur de Gauche ".  Marianne  (la revue) se réjouit " Enfin ! "

    Mais, c’est en juillet 95 et 96 que les premiers " arrêtés anti-mendicité " sont publiés. Plusieurs Maires du Sud de la France, soucieux du confort des touristes et des commerçants, autorisent la police à déplacer de force les mendiants, même si leur comportement ne constitue pas un trouble à l’ordre public. Parmi ces Maires, on trouve le Maire de Nice, Jacques Peyrat, ancien membre du Front National, mais aussi le socialiste Georges Frêche, Maire de Montpellier, et le radical de Gauche Michel Crépeau, Maire de La Rochelle. Ce dernier affirme que cette mesure est nécessaire pour que le FN ne trouve pas " prétexte à se développer ". D’ailleurs, le quotidien lepéniste Présent invite les élus FN à faire de même, en s’abritant derrière cette " jurisprudence ". Ce journal ajoute :  " ce n’est pas tous les jours qu’un édile de Gauche nous offre le bon exemple et nettoie les rues de leurs parasites ". Le Tribunal administratif de Nice, saisi par les associations, décrètera en mai 97 que ces arrêtés anti-mendicité sont légaux. Aucune opposition ne viendra non plus des partis politiques.

    Tout cela va introduire le discours de L. Jospin de juin 97.

    Le 16 avril 1998, les députés socialistes Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck publient un rapport parlementaire sur les mineurs délinquants. Ils proposent notamment d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs des " quartiers sensibles " et de " responsabiliser les parents de délinquants " par la suppression des allocations familiales.

    Le 17 juillet 98 : publication d’une nouvelle loi relative à la " violence à l’école ". Une nouvelle infraction pénale est inventée : " l’intrusion dans un établissement scolaire ".

    Septembre 98 : Régis Debray et 8 autres intellectuels publient dans Le Monde le manifeste " Républicains, n’ayons plus peur ! ", appelant à " refonder " la République en " restaurant " l’autorité et en instaurant la " tolérance zéro des petites infractions ".

    Octobre 98 : Publication d’une circulaire ministérielle invitant les proviseurs à la " mobilisation générale " contre la " violence scolaire ".

    Novembre 98 : Parution du livre de Sophie Body-Gendrot, " les villes françaises face à l’insécurité, des ghettos américains aux banlieues françaises ".

    Janvier 99 : parution du " Que sais-je ? " " Violences et Insécurité urbaines " d’Alain Bauer et Xavier Raufer.

    Avril 99 : parution du livre de Julien Dray " Etat de violence "

    Mai 99 : parution du livre de Jean-Marie Bockel " La troisième Gauche "

    Mais, il semble, en repartant de la bonne intention de M. Crépeau, que, pour empêcher le FN de se développer, il n’y a qu’à prendre sa place, et défendre les mêmes thèses que lui. Ne s’agit-il pas plutôt de récupérer son électorat ? Cette démarche, démagogique et populiste, aura permis à M. Sarkozy, d’instaurer une offensive sans précédent contre les pauvres et les petits délinquants. Le terrain était d’autant mieux préparé que la dernière campagne électorale, de Droite comme de Gauche, avait pour thème essentiel … l’insécurité. (Certains écrits de M. Chevènement étaient d’ailleurs particulièrement éloquents sur ce thème).

  • La LSQ : loi de sécurité quotidienne
  • " Il y a des mesures désagréables à prendre en urgence, mais j’espère que nous pourrons revenir à la légalité républicaine avant la fin 2003 " M. Dreyfus-Schmidt.

    Ainsi, la LSQ fut adoptée le 15.11.2001, par le Gouvernement Jospin, hors légalité républicaine et avec le soutien de l’opposition de Droite d’alors.

    Cette loi créait déjà de nouveaux délits, telle la " fraude d’habitude " avec incarcération pour 6 mois de ceux qui pratiquent la " gratuité " des transports. Elle étendait le pouvoir des agents privés de surveillance et de gardiennage, étendait le contrôle d’internet, partait en croisade contre les " raves " et les occupations d’escalier, faisait de tout citoyen un " présumé suspect ".

    Ces mesures ne devaient durer qu’un temps. L’article 22 de la LSQ précisait, en effet : " afin de disposer des moyens impérieusement nécessaires à la lutte contre le terrorisme (…) les dispositions du présent chapitre sont adoptées pour une durée allant jusqu’au 31 décembre 2003 ".

    Mais, l’article 17 du PLSI –projet de loi sécurité intérieure- de Sarkozy précise, quant à lui, que leur abrogation ne pourrait avoir lieu avant le 31.12.2005, validant ainsi les mesures visant : la rétention des données de connexion, la fouille des véhicules, les perquisitions sans assentiment des personnes visées, les fouilles et palpations effectuées par des agents de sécurité privée.

    Au nom de la lutte contre le terrorisme, l’insécurité, les prétendues " zones de non-droit ", le Gouvernement entérine ainsi le régime – et les lois – d’exception, mises en place par son prédécesseur.

     

    II – Des Etats-Unis à l’Europe : la tolérance zéro

    Ce discours des politiciens, des journaux, des médias, voire de politologues et de sociologues, n’est pas inspiré de la réalité, mais d’une idéologie venue des Etats-Unis, via l’Angleterre. Et, comme le dit Loïc Wacquant " la banalisation de ces lieux communs dissimule un enjeu qui n’a que peu à voir avec les problèmes auxquels ils se réfèrent ostensiblement : la redéfinition des missions de l’Etat qui, partout, se retire de l’arène économique et affirme la nécessité de réduire son rôle social et celle d’élargir, en la durcissant, son intervention pénale (…). Effacement de l’Etat économique, abaissement de l’Etat social, renforcement et glorification de l’Etat pénal ".

    Tout cela repose, évidemment, sur des théories élaborées en grande partie par le Manhattan Institute. Considéré comme la " fabrique à idées " de la nouvelle Droite américaine, fédérée autour du triptyque marché libre/responsabilité individuelle/valeurs patriarcales, l’idée-force en est la théorie dite du " carreau cassé ", adaptation du dicton populaire " qui vole un œuf, vole un bœuf ". Cette théorie, jamais validée empiriquement, sert d’alibi criminologique à la réorganisation du travail policier par William Bratton, responsable de la sécurité du métro à New York, promu chef de la police municipale. " A New York, nous savons où est l’ennemi " déclarait-il lors d’une conférence. " Les squeegee men ", ces sans-abri qui accostent les automobilistes aux feux pour leur proposer de laver leur pare-brise contre menue monnaie, les petits revendeurs de drogue, les prostituées, les mendiants, les vagabonds et les graffiteurs. Bref, le sous-prolétariat qui fait tache et menace. " C’est lui que cible en priorité la politique de " tolérance zéro ", visant à rétablir la " qualité de la vie " des New Yorkais qui savent, eux, se comporter en public ". Mais, en plus d’un fichier informatique performant, la véritable innovation de William Bratton réside dans les nouvelles techniques de management qu’il applique dans les commissariats transformés en centre de profit, le " profit " en question étant la réduction statistique du crime enregistré. En fait, il dirige l’administration policière comme un industriel le ferait d’une firme jugée sous-performante par ses actionnaires.

    Augmentation impressionnante du budget (4 fois plus que les crédits des hôpitaux publics), embauche de 12 000 policiers alors que, dans le même temps, les services sociaux de la ville voient leurs crédits amputés d’un tiers et perdent 800 postes.

    Cette doctrine de tolérance zéro s’est, hélas, propagée à une vitesse impressionnante, d’abord en Grande-Bretagne, chantre de cette théorie. Le Ministre de l’Intérieur, écossais : " la tolérance zéro va nettoyer nos rues ", en Amérique du Sud : Mexique, Argentine, Brésil. Puis, la France, l’Allemagne, l’Italie.

    Or, la tolérance zéro est le complément policier indispensable de l’incarcération de masse à laquelle conduit la pénalisation de la misère en Grande-Bretagne comme en Amérique. En 98,une loi sur le crime et le désordre est votée par le Gouvernement travailliste, reconnue comme la plus répressive de l’après-guerre. Et, Tony Blair précisait " il est important de dire que nous ne tolérons plus les infractions mineures. Le principe de base ici, c’est de dire que, oui, il est juste d’être intolérant envers les sans-abri dans la rue ".

    Ce qui fait dire à Loïc Wacquant : " Ainsi, les Etats européens, les uns après les autres, se convertissent à l’impératif du rétablissement de l’ordre (républicain) après s’être convertis aux bienfaits du marché (dit libre) et à la nécessité du moins d’Etat (social s’entend) "

     

    III – Lois Sarkozy et lois Perben

     

    Donc, parallèlement à la chute de l’Etat social, on assiste à travers les projets de loi de MM Sarkozy et Perben, à une montée impressionnante et dangereuse de l’Etat pénal et répressif.

  • Restriction des libertés individuelles et des droits civils
  • Quelques exemples :

    art. 25 – Extension du champ d’application du fichier national automatisé des empreintes génétiques à d’autres catégories de personnes et d’infractions.

    Le FNAEG – Fichier national des empreintes génétiques -, limité à l’origine aux seules infractions sexuelles, puis élargi à certains crimes par la LSQ, est étendu à de nombreux délits de violence contre les personnes ou les biens, ou mettant en danger l’ordre public. Le fichage génétique est également généralisé aux simples suspects et non plus aux seules personnes reconnues coupables. La personne fichée, une fois innocentée, peut demander (au Procureur ou au Juge des libertés) à voir son empreinte génétique effacée de la base de données, mais cette mesure peut lui être contestée.

    art. 29 – Extension du recours aux écoutes téléphoniques pour la recherche des malfaiteurs en fuite.

    art. 32 – Extension des perquisitions sans le consentement de la personne concernée en enquête préliminaire.

    Cet article modifie le 1er alinéa de l’article 76-1 du CPP (code de Procédure Pénale) en étendant la possibilité actuelle de perquisitionner sans le consentement de la personne concernée, en enquête préliminaire aux infractions caractérisant la criminalité organisée.

    art. 33 – Extension des perquisitions de nuit dans les locaux habités.

    La garde à vue d’une personne majeure peut faire l’objet d’une prolongation supplémentaire de 48 H. La personne gardée à vue, doit être présentée à l’autorité qui statue sur sa prolongation préalablement à cette décision. A titre exceptionnel, la prolongation peut être accordée par décision écrite et motivée sans présentation préalable.

    Invitation à la délation

    art. 42 – Toute personne qui a tenté de commettre l’une des infractions prévues aux articles 222.34 à 222.39 du code pénal est exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier, le cas échéant, les autres coupables.

    Extension du domaine du fichage

    Pour le syndicat de la magistrature, il s’agit de ficher à vie l’intégralité des personnes soupçonnées d’infractions même légères. Estimant à 8 millions le nombre de personnes actuellement fichées par la police ou la gendarmerie, il prévoit dans 2 ou 3 ans, si ce projet de loi est adopté, que le nombre atteindra 15 millions.

    Extension du fichage sans limitation d’âge, dès le stade de l’enquête préliminaire ou de flagrance, interconnection des fichiers police et gendarmerie (mise en place par la LSQ).

    L’installation des systèmes de vidéo surveillance " intelligente ", permettant la vérification automatique des plaques d’immatriculation, est préconisée aux frontières et sur les grands axes de transit national et international, ainsi qu’à l’occasion d’évènements particuliers ou de grands rassemblements de personnes.

    Nous entrons, ainsi, dans l’ère du soupçon, où la notion de " vie privée " est abolie, où tout citoyen est considéré comme suspect à vie.

  • Répression des mineurs : les lois Perben
  • La loi d’orientation et de programmation pour la justice a été votée par les députés, le 3 août 2002, au beau milieu des vacances. Cela est significatif d’une démarche où le débat est absent et où toute controverse est indésirable.

    Un des aspects centraux de la loi Perben est la remise en cause du droit des mineurs, par différentes mesures :

    • Création de sanctions dès l’âge de 10 ans.
    • Possibilité d’une détention provisoire pour les 13/216 ans en cas de violation du contrôle judiciaire

    • Mise en place de " centres éducatifs fermés " et de " centres de détention pour mineurs "

    • Application de la comparution immédiate à l’égard des mineurs multi-récidivistes

    • Institution de juges de proximité

    • Sanctions à l’égard des familles des mineurs délinquants

    • Nouvelle qualification pénale des injures proférées à l’encontre des enseignants

  • Petits rappels concernant l’ordonnance de 1945
  • Elle reposait sur 3 principes fondamentaux :

    • la justice ne peut traiter un enfant comme un adulte,
    • Primat de l’éducatif
    • Juge spécialisé pour les enfants

    En retenant la notion " d’éducabilité du mineur coupable ", le législateur entérinait une conception de la responsabilité collective de la société à l’égard des jeunes, considérés comme le maillon le plus faible du lien social. Bien que les mesures répressives n’étaient pas exclues, le mineur délinquant était considéré comme un être en devenir et non pas comme un " être irrécupérable ".

    Avec la loi Perben, la logique s’inverse et le répressif prend le pas sur l’éducatif. C’est dès lors, le regard porté sur l’adolescent qui est en train de basculer. Par exemple : avec la loi Perben, il est possible de placer les mineurs en centres fermés, à partir de 13 ans, et de les placer en détention provisoire s’ils ne respectent pas l’obligation de séjour en centre fermé. Ceci implique une rupture avec le passé sur deux plans : c’est quasiment la première fois qu’il est nettement envisagé pour les mineurs de répondre par une sanction pénale sous forme d’emprisonnement à un seul acte de fugue (sans acte de délinquance) et c’est la première fois depuis longtemps qu’il est de nouveau envisagé de mettre des mineurs de 13 ans en détention provisoire alors que jusque là, celle-ci était réservée à ceux âgés d’au moins 16 ans.

    Adulte en devenir à l’histoire le plus souvent chaotique, l’adolescent doit gérer dans cette période " l’intrication de l’individuel et du social, de son identité de sujet et de sa place dans le groupe, de son image et de son rapport à lui-même, à ses parents, à ses pairs, à l’ensemble de la société ". Soi et les autres. Quels liens construire ? La parole est souvent difficile. Encore faut-il qu’elle soit reconnue comme ayant de la valeur … Parfois, cris et insultes se substituent au dialogue, parfois ce sont des actes : portes qui claquent, chaises qui volent, matériel détruit. Mais, comme le dit Marie Bastianelli (psychologue clinicienne) " c’est un choix de société que d’ordonner de se taire –mais pour combien de temps ? – ou de proposer de s’exprimer d’une manière " entendable ", donc " tolérable ". Le concept de " tolérance zéro " est littéralement un non-sens ; il est refus de donner du sens, et déni de la réalité psychique du sujet. Il est fonctionnement en miroir, à l’identique, des jeunes auquel il s’adresse, une mise en acte de ce qui ne peut, ou ne veut, être pensé. Notre position d’adultes supposément capables d’un fonctionnement relativement adapté se doit d’être autrement distanciée".

    De plus, que peut-on attendre de la prison ? Véritable zone de non-droit d’où le mineur ressortira plus violent et désespéré qu’avant. Et, où sont ces dangereux criminels, auteurs d’agressions sauvages, alors que les 2/3 des mineurs détenus ont été condamnés pour des atteintes au bien ou à l’ordre public ?

  • Le délit d’outrage à enseignant  
  • L’outrage commis en milieu scolaire peut donner lieu à 6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende. Ainsi, les enseignants deviennent potentiellement, au même titre que les magistrats et les policiers, dépositaires de l’ordre public.

    Alors que Luc Ferry réduit les postes de surveillants d’externat et les " emplois-jeunes ", diminue les budgets des foyers socio-éducatifs, il accentue, dans le même temps, le processus de criminalisation des élèves des quartiers " difficiles ", tout en installant l’illusion d’action politique concrète.

    Il faut savoir que les 7 500 € d’amende sont l’équivalent des revenus semestriels, aides sociales comprises, d’un grand nombre de familles en difficultés.

    En fait, pour citer CLARIS (voir bibliographie) " On peut être perplexe à l’égard de mesures législatives qui sont susceptibles d’engendrer exactement l’effet inverse de celui recherché : stigmatiser un peu plus les jeunes " délinquants ", les enfermer dans une image de dangerosité sociale, confirmer la prison comme lieu de socialisation déviante. On peut s’attendre à ce que ce soit les " jeunes des banlieues ", autrement dit la jeunesse issue de milieux populaires et de l’immigration, qui soit la première victime de cette loi – comme du traitement policier des désordres urbains. Mais, précisément, le coup de force réside dans l’absence de réponse sociale à la délinquance juvénile, et en même temps, dans la réduction de la " délinquance " aux " jeunes ". Les véritables causes des difficultés de ces jeunes et de leur famille que sont le chômage, la précarité, la désaffiliation tant sociale et urbaine qu’institutionnelle, l’attrait des économies souterraines, la pression des pairs, l’absence de représentation, d’écoute et de médiation, etc , ne sont jamais abordées. Or, ce sont ces questions qu’il faut remettre au centre du débat, face aux idéologies et pratiques sécuritaires, qui tendent à évacuer la complexité des phénomènes en jeu, et notamment l’échec scolaire et l’insertion professionnelle. Bref, le problème, c’est le social ".

  • Criminalisation du conflit social
  • La condamnation de plus en plus fréquente de militants syndicaux témoigne d’une répression accrue de toute contestation : José Bové, Ahmed Meguini à Strasbourg et tous les autres : squatters de Limoges, syndicalistes de Mac Do ou de la CGT … ou militants anti-OGM.

  • De l’Etat social à l’Etat pénal : la pénalisation de la misère
  • S’il y a une chose qui semble claire pour tout le monde, c’est que l’on assiste à une véritable " guerre contre les pauvres ". Ainsi, de nouveaux délits, relevant du code pénal, dépendaient jusqu’à présent, de la justice civile, comme par exemple :

    Prostitution et racolage passif (6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende

    Violation du bien d’autrui : " le fait de s’installer dans un bien immobilier appartenant à autrui, sans être en mesure de justifier du droit réel d’usage de ce bien est puni de 6 mois d’emprisonnement et 3 000 E d’amende " Attention les squatters ! Menaces : jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 € d’amende pour les auteurs de menaces à l’encontre de gendarmes, policiers, magistrats, avocats, douaniers, gardiens de prison ou d’immeubles. En cas de menaces de mort, la peine maximale est portée à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.

    Regroupement dans les halls d’immeuble et les cages d’escaliers : jusqu’à 2 mois de prison et 3 000 € d’amende pour ceux qui entravent la libre circulation dans les parties communes d’immeubles.

    Mendicité : art. 52 – L’exploitation de la mendicité est le fait par quiconque de quelque manière que ce soit :

    • d’aider, d’assister ou de protéger la mendicité d’autrui,
    • de tirer profit de la mendicité d’autrui, etc

    Celui qui mendie " sous la menace d’animaux dangereux " encourt 6 mois de prison et 7 500 € d’amende

    Conclusion

    Pendant les 30 Glorieuses, la cohésion sociale reposait sur des implicites culturels : la logique (tu feras comme ton père), l’objectif : élévation du niveau de vie et les moyens, l’identité fonctionnelle.

    Aujourd’hui, le chômage massif, la précarisation, l’insécurité sociale ont entraîné une perte de sens. L’avenir apparaît en termes de survie. D’où la violence, la perte de repères, savamment utilisées par un Pouvoir en quête de légitimité. Les médias, qui ont fait le choix du sensationnalisme, ont été un puissant et efficace relais des idées d’insécurité et de nécessaire répression : une croissance de 126 % des sujets sur l’insécurité a été constatée, tous médias confondus, entre février et mars 2002. Une enquête du Monde montre que, entre le 1er janvier et le 5 mai 2002, l’insécurité a été médiatisée 8 fois plus que le chômage.

    Interviewé sur le sujet, dans le magazine Les Inrockuptibles, le cinéaste américain Michael Moore, auteur de Bowling for Columbine, qui s’interroge sur la folie des armes à feu aux Etats-Unis, remarque : " L’être humain a tendance à avoir peur de ce qu’il ne connaît pas, de ce qui est différent. Si on manipule les gens sur ces thèmes, là, on peut ramasser beaucoup de voix. Hitler n’a pas fait de coup d’Etat, il a été élu ".

    Depuis quelques années, le thème de l’insécurité est au cœur du débat politique, beaucoup plus qu’au cœur de nos cités, où prospèrent chômage, précarité, isolement, détresse … L’anxiété ainsi provoquée, nourrit une demande diffuse de stabilité et d’ordre. Comme le dit Loïc Wacquant " Les dirigeants politiques, de Gauche comme de Droite, se sont convertis à l’idéologie néo-libérale qui commande de déréguler l’économie et de diminuer les protections collectives contre la sanction du marché. Ce faisant, ils se trouvent en déficit de légitimité : à quoi bon voter pour un Parti qui préconise l’impuissance de l’Etat et qui clame qu’il ne peut rien faire pour vous ? En canonisant le thème de l’insécurité, réduite à la seule dimension de la criminalité de rue, ils réaffirment la capacité d’action et l’autorité de l’Etat ".

    La délinquance a effectivement augmenté … mais, c’est vrai depuis 1950 et si l’on se réfère à 1984, l’ensemble des faits constatés est stable, alors qu’il y a, en France, un accident de travail toutes les 3 minutes, et, pourtant, personne ne dénonce l’insécurité dans les entreprises, alors que la " délinquance  en col blanc ", la fraude financière, connaissent une importante augmentation (43 000 faits en 1950 contre 295 500 en 1997), cela n’émeut pas grand monde.

    De la malbouffe à la surexploitation des travailleurs, d’une disparition progressive des services publics et des retraites à un renforcement sans précédent de l’Etat pénal, cette logique ne peut qu’aboutir à une nouvelle barbarie.

    A nous d’y résister.

    Paule Graouer

    Bibliographie

    - " Stop, quelle violence " Sylvie Tissot et Pierre Tévanian – éd. L’esprit frappeur

    - " La machine à punir- Pratiques et discours sécuritaires " Collectif sous la direction de G. Sainati et Laurent Bonelli – éd. l’Esprit frappeur

    - " Les prisons de la misère " Loïc Wacquant – éd. Raisons d’agir

    sur Internet

    CLARIS est un collectif de chercheurs et d’éducateurs qui diffuse régulièrement et gratuitement un bulletin d’information sur internet (Laurent Mucchielli est un des initiateurs) : claris.groupe@free.fr

    Pour s’informer régulièrement au niveau législatif, vous pouvez vous connecter sur le site de l’Assemblée nationale : www.assemblee-nationale.fr

    Site du syndicat de la magistrature  :syndicat.magistrature@wanadoo.fr (tél. 01.48.05.47.88)


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