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THINK-TANKS ET LOBBIES - DES ORGANES D’INFLUENCE

contribution d’Emmanuel Desloges – Amis du Diplo – Groupe Val de Marne

 

 

La création aux USA, après les attentats du 11 septembre 2001 d’un éphémère(1) Bureau d’Influence Stratégique (OSI) sur l’information et les médias, que l’on aurait cru sorti tout droit d’un film de politique-fiction, nous rappelle la réalité des volontés et des dispositifs d’influence développés depuis longtemps par les pays dominants.

" Celui qui s’intéresse aux mécanismes de prise de décision dans les sociétés modernes doit s’intéresser au phénomène des think-tanks " écrit J.P Mayer dans " Les prophètes de la stratégie des Etats-Unis "(2).

En effet, connaître les types et modes d’action des lobbies (ou groupes de pression) et des think-tanks (ou " boites à penser ", " réservoirs de pensées "), c’est tenter d’appréhender les notions de " pouvoir ", de  " puissance ", d’ " influence ", de " modèle " et " d’idéologie ". Ici, c’est nous permettre de comprendre un des mécanismes de l’imposition du modèle néo-libéral en économie et les tendances impérialistes des USA en politiques étrangère et militaire.

 

I - Les lobbies

Fruits d’une histoire socio-politique, les lobbies existent dans des domaines très divers mais, ceux qui nous intéressent, représentent les intérêts industriels et financiers.

 

  • Une spécificité étatsunienne
  • L’existence des lobbies (et des think tanks) doit beaucoup aux valeurs originelles de la société étatsunienne qui accordent, entre autres, une place importante à l’individu face à l’Etat, notamment dans la participation à la vie politique, qui rejettent les vérités " toute faites " émanant d’une autorité " supérieure " et promeuvent la liberté d’expression.

    L’organisation des pouvoirs , en accordant un rôle important au législatif, et plus particulièrement aux présidents de commissions et aux assistants parlementaires, a joué également dans le développement du lobbying.

    Par ailleurs, écrit J.P Mayer, " le système politique des USA est fondé sur la confrontation franche des arguments et des intérêts des groupes qui ont accès aux sphères dirigeantes ; la société américaine voit se multiplier les groupes de pression,, les associations , les clubs qui fédèrent les citoyens, jouent un rôle moteur dans l’élaboration de l’opinion et pèsent de façon non négligeable dans les prises de décision(2) ".

    Ainsi, la défense des intérêts privés et individuels, de manière ouverte et militante, dans des domaines allant des communautés aux détenteurs d’armes, est-elle ancrée dans la société étatsunienne (mais s’est aussi exportée) et, si les lieux d’action du lobbying sont multiples, c’est avant tout le Congrès qui est une cible privilégiée..

     

  • Lobbies industriels et financiers
  • Si le fonctionnement des institutions étatsuniennes a favorisé l’influence des milieux industriels et financiers au cœur du Congrès, notamment à cause des modes de financement des partis politiques, cette influence des grands groupes existe depuis longtemps au sein de chaque pays, et plus encore aujourd’hui, au sein des grandes institutions internationales, eu égard, entre autres, aux imbrications historiques de l’Etat et de ces grandes entreprises.

    Cependant, non contentes de défendre leurs intérêts directs, les grandes multinationales ont participé (avec d’autres groupes d’influence, voir infra) à la diffusion et à la promotion du modèle économique libéral. Ce lobbying dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’industrie, des biotechnologies ou de l’agroalimentaire est particulièrement organisé et vigoureux au sein du Conseil et de la Commission européens ( 10 000 professionnels, selon l’OEI (3)), du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, de l’ONU.

    Parmi les lobbies les plus influents qui usent de moyens financiers et humains considérables, notamment en recourant aux agences de relations publiques et de communication, on peut citer : l’ERT (table ronde des industriels européens), l’UNICE (union des confédérations industrielles et patronales européennes), l’AMCHAM (comité européen des chambres de commerces US), la Chambre Internationale de Commerce (3). Un des deniers nés, le WBCSD, qui se veut le porte parole de " l’industrie soucieuse d’un développement écologique cohérent " et regroupe notamment les industries les plus polluantes ( !), s’est illustré par son lobbying, lors des sommets sur " le développement et l’environnement " (Rio, Kyoto).

    Quant au monde du pétrole, son importance stratégique historique en a toujours fait un ténor de l’influence (au profit des groupes privés ou/et de l’Etat), comme l’illustre l’administration Bush Junior, au sein de laquelle plusieurs membres occupant des postes stratégiques, sont issus du milieu pétrolier (G.W. Bush, président ; D.Cheney vice-président ; C.Rice, conseillère à la sécurité nationale…).

     

    II - Les Think-tanks

     

    Si les lobbies sont avant tout de puissants relais d’intérêts particuliers, les think-tanks, eux, ont des domaines et modes d’action plus globaux et plus diffus.

  • Origine, buts et modes d’action
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    Issus de la culture politique et stratégique étatsunienne, ils sont aussi une spécificité anglo-saxonne, et existent dans de très nombreux domaines. Ce sont des instituts privés, publics ou mixtes, composés de chercheurs d’origine universitaire le plus souvent, qui sont chargés de travaux d’analyse, de réflexion, de prospective et d’étude, en vue d’apporter des solutions à des problèmes politiques (militaires, économiques, sociaux, voire environnementaux..). Ils sont des lieux de foisonnement d’idées (d’ou leur nom) et étaient censés, au départ, donner une légitimité aux décisions du pouvoir politique.

    Si leurs " clients " sont surtout les décideurs politiques et économiques (beaucoup sont d’ailleurs issus de ces instituts), les think tanks travaillent aussi pour, ou en direction du public et des médias. Ils accordent une place très importante à la communication sous toutes ses formes.

    Enfin, si de nombreux think tanks étaient, et sont encore, neutres idéologiquement, plusieurs, parmi les plus influents, sont orientés politiquement et diffusent à l’échelle planétaire des thèses dans les domaines militaires et économiques, qui sont souvent celles des " puissants ". A ce titre, ils forment bien des organes d’influence.

  • Think-tanks politiques, militaires et stratégiques
  • Ils naissent souvent après des " crises " : après la première guerre mondiale et la crise de 29, pour mobiliser le monde intellectuel, civil, scientifique, économique et de l’industrie, afin d’apporter des solutions aux problèmes politiques et économiques ; avant la deuxième guerre mondiale, pour préparer la machine de guerre et l’opinion publique étatsuniennes ; après ce conflit, pour faire face, militairement, à l’URSS et, idéologiquement, au communisme et idées apparentées ; après la guerre du Golfe, pour proposer un " nouvel ordre mondial ", la " Révolution dans les Affaires Militaires " et un nouvel interventionnisme étatsusien...

    Parmi les plus connus de ces instituts on peut citer : la Rand Corporation, qui est selon T. Meyssan du Réseau Voltaire " le plus important centre privé mais subventionné) en matière de stratégie et d’organisation militaire, la prestigieuse expression du lobby militaro-industriel US ", le Brookings Institute, le Concil on Foreign Relations (qui publie l’influent Foreign Affairs), la Hoover Institution, l’Hudson Institute…

    Par ailleurs, certaines personnalités ont réussi, grâce à leurs fonctions ou leur influence, à imposer leurs thèses et idées dans les domaines stratégiques : H. Kissinger , Z .Brzezinski (la promotion des droits de l’homme, le " piège " afghan ) ou idéologique : F.Fukuyama (" la fin de l’histoire "), S.Huntington (" le choc de civilisations ").

     

  • Think-tanks " économiques et sociaux "
  • Ce qui est intéressant, ici, est, selon K. Dixon, auteur de " Les évangélistes du marché "(4), " le rôle essentiel joué par des intellectuels, dans la stratégie de conquête néo-libérale, le mode d’insertion de ces derniers dans le combat politique, et l’efficacité de leurs activités, qu’il s’agisse d’interventions, à titre personnel ou de lobbies structurés ".

    En effet, les think-tank néo-libéraux, qui naissent pour certains dès les années 40, sont, toujours selon Dixon, " des forums de réflexion, des vecteurs privilégiés de l’activisme politique de certains intellectuels, des points d’appui essentiels pour influer sur les champs économique et politique ". Les plus influents naîtront au Royaume Uni entre les années 50 et 70.

    Mais, alors que les idées libérales sont encore impopulaires et minoritaires jusqu'au milieu des années 70(5), la crise économique et financière internationale, la crise de légitimité du modèle et consensus keynésiens, ainsi que la crise au parti travailliste et les assauts contre les syndicats au Royaume Uni, vont leur constituer un vrai tremplin. Avec des moyens financiers et humains importants, une occupation des champs universitaires, intellectuels et médiatiques, grâce à un gros travail de communication, une proximité idéologique et physique avec les décideurs politiques et économiques, les think-tanks britanniques vont imposer le modèle libéral et le diffuser dans le monde entier et dans tous les partis de gouvernement, l’élection de M.Thatcher au poste de Premier Ministre en 1979 constituant leur consécration (ainsi que celle de R.Reagan aux USA en 81).

    Parmi les think-tanks libéraux les plus connus : La société du mont Pèlerin (1947) avec les " pères " du néo-libéralisme, M.Fridman et F.Von Hayek , l’Institut for Economic Affair, le Centre for Policy Studies, dont est issue M.Thatcher, l’Adam Smith Institut, l’Heritage Fondation. A noter que les néo-travaillistes ont également leur think-tanks et leurs idéologues : l’Institute for Public Policy Research, Demos avec A.Giddens.

     

     

    Conclusion

    A la lumière de cette modeste analyse, on se rend compte de l’importance du travail intellectuel, de sape idéologique et de relations publiques, des moyens de communication (donc des moyens financiers !), de l’entrisme auprès des décideurs et dirigeants et du " moment historique, économique et social " pour réussir à imposer un modèle, des idées ou des stratégies.

    C’est peut-être en cumulant certaines de ces conditions, qui sont cependant loin d’être une panacée, que des idées alternatives gagneront du terrain, tout le terrain.

    Emmanuel Desloges

     

    Notes :

    (1) Officiellement il a été dissous par D.Rumsfeld suite à la réprobation de l’opinion publique mais, depuis octobre 2002, l’US Strategic Command a repris a son compte la " gestion " de l’information et des médias en matière de lutte anti-terroriste. (source : Réseau Voltaire,Tribunes libres internationales) .

    (2))" Rand, Brookings, Harvard et les autres. Les prophètes de la stratégie des Etats Unis ". J.P.Mayer - ADDIM.1997.

    (3))" Europe Inc.Liaisons dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens ". Observatoire de l’Europe Industrielle-Agone.2000.

    (4)Les évangélistes du marché " et " Un digne héritier " Keith Dixon - Raisons d’agir.1998 et 2000.

    (5)Quand la droite américaine pensait l’impensable " Serge Halimi - Le Monde Diplomatique – janvier 2001

    A lire également :

    L’Amérique en armes - Anatomie d’une puissance militaire". V.Desportes –Economica -2002.

    A voir :

    le documentaire de Jean Druon : " Good luck for your country ". Culture Production/La Sept-Arte.2000.


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