Le Gouvernement de Vichy : un Etat policier ?

Intervention d’Annie Pavy le 18.12.2002

 

Si nous remontons le temps, un exemple d’Etat Policier nous vient tout de suite à l’esprit : le Gouvernement de Vichy, période trouble de la IVème République, que nous allons resituer dans son contexte, afin d’examiner si, dans la période que nous traversons, des signes nous permettent d’établir des similitudes.

 La France, ayant à l’époque déclaré la guerre à contre coeur et choisi une stratégie défensive, se réfugie dans la passivité de la " drôle de guerre ". L’attaque allemande à l’ouest provoque son effondrement militaire et la signature d’un armistice draconien qu’accepte le Gouvernement du Maréchal Pétain. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée Nationale lui accorde les pleins pouvoirs. Sous le nom de " Révolution Nationale ", le Gouvernement installé à Vichy, met en place une dictature corporative, élitiste, cléricale qui dérive vers un Etat Policier persécutant les Juifs, les démocrates et les hommes de gauche.

Conséquences 

La France n’est plus une terre d’accueil pour les étrangers persécutés. Mettant en pratique le mot d’ordre " la France aux Français ", Vichy interne les étrangers dans des camps de concentration, retire la nationalité française à ceux qui ont été naturalisés depuis 1927 et promulgue en 40 et 41 deux statuts des Juifs ; ils sont d’abord exclus de toute fonction qui leur permet d’exercer autorité et influence (fonctions élective, publique, médiatique, formative…) sauf un accès limité à l’Université, un numerus clausus dans les professions libérales. Puis en 41, leurs entreprises sont confiées à des administrateurs-gérants, les Juifs doivent se faire recenser.

La Franc maçonnerie est dissoute et ses adhérents sont dénoncés publiquement.

L’Administration est épurée ; les Préfets et fonctionnaires favorables à la République sont révoqués.

Les conseils municipaux des grandes villes sont dissous et remplacés par des Délégations Spéciales nommées par le Gouvernement.

Les Hommes d’Etat de la 3ème République, jugés responsables de l’entrée en guerre de la France, sont placés en résidence surveillée ou jetés en prison ; il s’agit des anciens présidents du Conseil : Léon Blum, Edouard Daladier, Paul Reynaud, … et des anciens ministres : Georges Mandel, Pierre Mendés France….

  

Objectif : fonder un Ordre Nouveau

Education de la jeunesse : le corps des instituteurs va être épuré. L’Ecole Normale (trop républicaine et laïque) est remplacée par des Instituts de formation professionnelle qui vont enseigner les valeurs " Travail, Famille, Patrie ". Création des chantiers de jeunesse, qui, d’abord destinés à la classe mobilisée, seront vite étendus à tous les Français en âge d’accomplir leurs obligations militaires, pour un service de 8 mois.

Création des Ecoles de Cadres.

Famille : l’idéal en est la femme au foyer et les familles nombreuses. La future épouse reçoit une dot de l’Etat si elle s’engage à ne plus exercer d’activité professionnelle. On instaure les cartes de priorité pour l’emploi et les pères de famille ont le droit de faire des heures supplémentaires. Le divorce est rendu plus difficile. On met en place des actions pour la lutte contre l’alcoolisme, fléau de la famille.

Organisation du travail. Le contrôle de l’Etat est partout : dans le monde rural, dans l’industrie ; on crée des Comités d’organisation, par branches industrielles, qui sont soumis à la tutelle de l’Etat. Placés sous la direction des grands patrons, ces comités sont chargés de recenser les entreprises, de dresser les programmes de production, de répartir les matières premières, de fixer les salaires, les horaires, les prix…

Réorganisation de l’Etat. A défaut de projet de Constitution, de pouvoirs publics légaux, il faut trouver le moyen de transmettre les impulsions données par l’Etat auprès de la population… Pétain décide que les Anciens Combattants auront pour mission de propager les principes de la Révolution Nationale. Ces associations d’anciens combattants fusionnent alors en Légion des Combattants organisée sur une base départementale. Très vite vont naître des conflits de compétence entre la Légion, les autorités et l’Administration. Devant les protestations des Préfets, la Légion est mise en sommeil mais sous la Direction de Joseph Darnaud, un noyau dur va constituer le SOL, Service d’Ordre Légionnaire, qui deviendra en 43, la Milice, police supplétive au service des Allemands dans la chasse aux Résistants. L’échec de l’expérience de la Légion laisse la voie libre à l’Administration. Le Régime de Vichy est l’âge d’or des fonctionnaires : augmentation de 60% ; ils sont entre 600 000 et 990 000, à tous les niveaux et sans aucun contrepoids puisque les Assemblées et les Administrateurs élus ont disparu et que les hommes politiques sont tenus en suspicion.

 Le Gouvernement de Vichy apparaît comme un Etat autoritaire, une dictature pour les adversaires politiques mais pas comme un régime fasciste car on n’y discerne ni idéologie officielle, ni parti unique. C’est une extrême droite traditionaliste qui peut espérer séduire une population traumatisée par la défaite de la France.

Puis, entre 41 et 42, la situation de Vichy se détériore, le régime se durcit. La vie des Français devient économiquement difficile et les manifestations de mécontentement se multiplient. Les Français ont faim. Surviennent alors les tickets de rationnement afin de partager les ressources agricoles. Pour pallier cette pénurie, la solution est le marché noir pour ceux qui ont encore quelque chose à échanger ; pour les pauvres cette solution est impossible. Dans le même temps, le charbon, l’électricité et le gaz sont rationnés.

Toute liberté de pensée est abolie.

Les prisons sont pleines ; en 42, 50 000 Français sont en prison et 30 000 sont internés dans des camps de concentration. En zone occupée, Juifs, communistes et gaullistes sont les victimes ; en zone libre, ce sont les mêmes mais s’y ajoutent les syndicalistes et les parlementaires de la 3ème République.

Des actes de lutte armée se succèdent à partir de 41, provoquent assassinats et attentats. Des Allemands vont être tués et vont se venger en exécutant des otages. Du coup, ce climat de terreur va avoir pour conséquence de dresser l’opinion française contre l’occupant. Le Régime de Vichy sent la situation lui échapper. Le Peuple français se réveille : des mineurs du Nord se mettent en grève pour obtenir du ravitaillement et de meilleurs salaires. On voit se multiplier le " V " symbole de victoire alliée, sur tous les murs, les mouvements de résistance se développent. En 42, on assiste à la création des premiers maquis.

Face à la rébellion des Français, Pétain durcit sa position (prononciation du discours du 12 août 41, appelé " discours du vent mauvais ") et prend des décisions arbitraires :

L’occupant allemand exige, dès lors, une politique de stricte collaboration. Vichy se transforme en Etat policier fantoche, réprimant les opposants par la force. C’est Pierre Laval qui succède à Pétain, confirmé par les Allemands. Ces derniers vont piller, asservir le pays et renforcer la déportation (au titre du S.T.O. Service du Travail Obligatoire) puis la déportation encore plus massive des Juifs, des communistes et des résistants, les exécutions de prisonniers au hasard, les massacres dans la population en représailles aux actes de résistance.

Puis se développe la collaboration. On estime qu’une minorité de Français s’engagent dans la collaboration ; les formes sont diverses : chefs d’entreprise qui acceptent de travailler pour l’effort de guerre allemand, … mais, cette collaboration économique n’est rien à côté de la collaboration idéologique qui est le fait de groupuscules admirateurs du fascisme et du nazisme : hommes politiques rêvant d’instaurer ces régimes en France, écrivains, journalistes, jeunes gens souvent étrangers à toute obédience politique (trafiquants, aventuriers,…). Le dernier type : la collaboration d’Etat, pratiquée par le Gouvernement de Vichy qui, considérant la victoire allemande inévitable, essaie d’obtenir, des nazis, un traité de paix favorable à la France, tout en lui apportant de l’aide dans la guerre qu’ils poursuivent.

On comprend alors, qu’à côté de cela, se mette en place la Résistance, dans laquelle le Parti communiste va jouer un rôle essentiel, car il est bien organisé, dispose de réseaux de militants dévoués ; il dynamise cette résistance avec son savoir en matière de guérilla, perpétuant les attentats, les sabotages, etc… De Gaulle, va tenter d’entrer en contact avec ces réseaux, afin de les organiser et de leur faire admettre son autorité. Commencent alors des mouvements France Angleterre et réciproquement. Cependant, les chefs de la résistance se méfient de De Gaulle car ils voient en lui un officier d’extrême droite. Le Général les " rassure " sur ses conceptions démocratiques et leur envoie Jean Moulin qui sera chargé d’unifier et d’organiser la Résistance. Ce dernier réunit, dans une organisation unique, les principaux mouvements qui vont former l’Armée Secrète ou " France Combattante ", donnant naissance à un contre-pouvoir face à Vichy.

Cette évocation d’une période de notre histoire qualifiée d’Etat policier peut nous permettre de bien observer les différentes phases de mise en place de ce régime autoritaire.

Nous n’en sommes pas là. Notre message est plutôt " restons informés et vigilants ".

Annie Pavy