Islam : la possibilité d’une réforme ou le renouveau de la pensée islamique

première partie : Problématique sociale

intervention de Moustafa M le 22 janvier 2003

 

Selon une tradition coranique, chaque siècle, la compréhension, la lecture de la religion musulmane est renouvelée. Dieu gratifie quelqu’un ou un groupe de personnes de qualités intellectuelles et spirituelles, qui nous font relire les sources différemment, en fonction des nouveaux contextes géographiques, culturels, … La réforme, c’est tenir compte du contexte, sur la base des principes très anciens. En Occident, nous sommes dans un nouvel espace, celui du témoignage – Dar Ash Shahada (cf encart " les différents " espaces " en islam) et nous utilisons une méthodologie faisant appel à l’ijtihad (voir encart " ijtihad "), déjà utilisée au temps du Prophète bien aimé.

Avant de pouvoir cerner les conditions qui devraient permettre le renouveau de la pensée islamique en Occident, et en particulier en France, il faut dresser un certain nombre de constats, relevant de la problématique sociale. Les musulmans résidant en France sont chez eux, bien que leurs origines et leurs racines soient ailleurs. La langue arabe ou la langue d’origine des parents se perd et les imams improvisés, inadaptés au contexte français, ont rendu difficile, chaotique l’émergence de la religion musulmane en Occident. Mais, les choses sont en train de changer. Bien que l’existence de la religion musulmane peine à être reconnue, tant dans ses lieux de culte que dans ses rituels funéraires, malgré la ghettoïsation dont sont victimes les générations d’origine maghrébine, turque, …et malgré l’instrumentalisation politique et sociale dont nous avons été l’objet, nous sommes aujourd’hui porteurs d’un autre regard sur la société française.

La réforme de l’Islam nous confère une nouvelle raison d’agir, de nous engager, afin que nos droits spirituels, au travail, aux loisirs, soient reconnus. Désormais porteurs d’une volonté de transformation sociale, nous souhaitons que soient engagées de véritables réformes politiques, tant sur le plan international que sur le plan intérieur.

I – Tout d’abord, des constats

 

Nous sommes en Occident pour y rester. Mieux encore, nous sommes chez nous car, nous le savons, le mythe du retour au pays d’origine de nos parents, ne fonctionne plus. Cette prise de conscience est récente et nécessite une révolution intellectuelle parmi les citoyens européens, de confession musulmane. Il faut repenser notre discours, notre vocabulaire, nos partenariats. En somme, il faut changer d’état d’esprit, de mentalité et d’attitude. Cette démarche, nécessaire, repose sur un principe : être musulman convaincu, sincère, pratiquant, fidèle à ses valeurs, tout en étant un authentique citoyen européen, en phase avec son environnement. Nous l’affirmons : il n’y a aucune contradiction entre les deux.

Or, il n’y a quasiment pas de dialogue entre associations musulmanes ; trop de divisions apparaissent. Pourtant, notre spiritualité qui est le fondement de l’action de tout musulman, n’est pas une retraite du monde, notre foi n’est pas exclusive et ne nous demande pas de nous isoler, notre engagement n’est pas " pour nous " et " contre eux ".

Nos parents sont venus en Europe pour des raisons économiques. Ils sont peu instruits, en raison de la scolarité qui était pratiquement interdite pendant la colonisation française, britannique … Sans grands discours sur la religion, sans grandes connaissances théologiques, ils ont cherché souvent dans la douleur, à transmettre à leurs enfants le sens de la foi en Dieu ; ils ont aménagé des espaces de prière sur leurs lieux de travail, dans les quartiers, dans les villes. Ils ont beaucoup contribué à la construction du pays d’accueil (industries, routes, bâtiments publics, écoles, logements …) et pourtant la société les diabolise. " Entre les éducateurs, les assistantes sociales, les profs et les juges, les parents maghrébins étaient dépassés et on leur renvoyait souvent que c’était de leur faute " Yazid Kherfi (1). " Que pouvaient-ils comprendre au fonctionnement de l’école, eux qui n’y étaient jamais allés et parlaient mal la langue… Pouvaient-ils s’imaginer un instant que leur fils pourrait toucher à la drogue alors qu’eux respectaient scrupuleusement le Coran … Nous ne connaissions pas grand chose d’eux et ils savaient si peu de nous … "

Des cours d’arabe à coups de baguettes, donnés par des professeurs étrangers

Si nous avons pu assister à des cours d’arabe, ce fut dans les plus mauvaises conditions. Ils étaient donnés, non seulement, par des professeurs étrangers, mais, surtout " on est allé à l’école arabe, quelques mois. Les cours avaient lieu dans le centre social de quartier avec un prof habilité par le Consulat … Le prof était sévère, il nous frappait sur les doigts et nous faisait ahaner l’alphabet … ". Cette réalité, illustrée par Yazid Kherfi, montre bien le déficit d’enseignants, de formateurs en langue arabe ou en science coranique, et l’incompétence due à l’ignorance du contexte français, mêlée à une pédagogie médiocre.

Des imams " improvisés " ou habilités par le Consulat, inadaptés au contexte français

" Errare musulmanum est "

Quant à l’enseignement religieux, il était dispensé par des imams " improvisés " ou habilités par les Consulats. En tout état de cause, il était le plus souvent, par ignorance, inadapté au contexte français. En effet, dans la religion musulmane, toute personne présidant la prière, s’appelle " imam " ; l’Islam se vit individuellement mais aussi en communauté car la " communauté de foi " est intrinsèquement liée à la pratique musulmane. Beaucoup d’imams sont sincères dans leur engagement, basé sur la recherche du Bien, sur l’amour de Dieu et la fraternité. Mais le danger apparaît quand les imams autoproclamés, non formés aux sciences islamiques, ne connaissant pas

bien l’environnement institutionnel, juridique, social de la France, commencent à faire des cours sur le halal (licite) ou le haram (illicite) ou à commenter des faits d’actualité. Ainsi, l’Islam devient un tissu d’interdits, car certains pensent que " plus tu es restrictif et plus tu es islamique ", " moins il y a de liberté, et plus tu es musulman et quand tu ne peux plus rien faire ? tu es au top ! "(2). Ici, on juge le bon musulman, en fonction de sa tenue vestimentaire et de son apparence " musulmane ". Pourtant, " l’habit ne fait pas l’imam ". L’on oublie alors les dimensions principales d’amour, de paix, de fraternité, de coexistence entre êtres humains. Ce qu’il faut, c’est former des êtres spirituels en parlant à leur cœur et non imposer à un être ce qui devrait être dans son cœur. Il y a une différence entre faire subir l’Islam et l’offrir. L’islam peut devenir aussi une religion d’opposition ou de rejet à tout ce qui n’est pas musulman ou qui ne pense pas comme nous. Il y a donc risque de manipulation des esprits ou d’enfermement religieux.

Quant aux imams habilités par les consulats étrangers, ils n’ont aucune connaissance du contexte social, culturel, historique français et nous proposent toujours les mêmes cours, avec la même monotonie, le même vocabulaire, lors des prêches du vendredi, uniquement en langue arabe ; très peu de prêches sont présentés en français. L’idéal serait un prêche en arabe, conformément aux " ibadat " (affaires du cultes), suivi d’un prêche en français. Rappelons que l’objectif du prêche du vendredi est de transmettre un message, un rappel, d’éduquer et, naturellement, dans une langue compréhensible pour l’interlocuteur. Attention, il ne s’agit pas ici de tenter de renvoyer les imams étrangers, non formés en France, dans leurs pays d’origine, comme cela a pu être montré cet été dans la grande mosquée de Nîmes, mais de réfléchir à la mise en place de structures pour les former dans le contexte.

Il est indispensable, pour ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance en science islamique, devenir théologien, islamologue, intellectuel musulman, d’apprendre la langue arabe, tandis que pour les autres, c’est une nécessité mais pas une obligation, car il existe des outils pédagogiques, pour ceux qui ne connaissent pas l’arabe. Ces ouvrages sont en arabe phonétique et en français.

 

Des mosquées dans les caves, dans les garages ?

Cette situation de " pauvreté " de l’Islam en France, que nos parents ont connue et que nous connaissons encore, a été renforcée par le mépris, l’ignorance, la marginalisation de notre spiritualité spécifique. Que l’on pense, à cet égard, aux mosquées dans les caves, dans les garages. Il faut sortir l’Islam " souterrain " des caves, des garages et arriver à un Islam qui soit " à l’air libre ", c’est-à-dire plus digne, plus visible et structuré, comme pour les églises, synagogues, temples boudhistes .. Ce n’est pas du tout un acte de " conquête de l’Islam ", une première étape qui serait nécessaire avant de passer à la deuxième, celle " d’islamiser la République ! ", comme le déclare Rachid Kaci, vice-président de " Démocratia " dont le discours épouse les pourtours de l’oreille occidentale, mais ne tient pas compte de la réalité !

La place et le rôle de la femme sont incontournables, aussi bien dans la mosquée que dans la société, comme c’était le cas à l’époque du Prophète. Mais, les mentalités archaïques et le manque de références islamiques solides des musulmans ne lui permettent pas encore de s’épanouir et de s’émanciper socialement. Il faudra donc patienter encore un peu et éduquer davantage.

Le même constat peut être dressé en ce qui concerne le manque d’aumôniers dans les prisons et les hôpitaux. Peu de candidats se portent volontaires, encore faudrait-il qu’ils soient formés.

Il en est de même pour le problème lié à l’aménagement des lieux de sépulture dans les cimetières. Il existe, en effet, peu de carrés musulmans. Faut-il proposer, comme nos " amis Suisses ", un " enterrement laïque ", c’est-à-dire le rassemblement de toutes les dépouilles, quelles que soient les confessions religieuses ? C’est une aberration, étant donné que l’enterrement musulman se pratique en tenant compte de l’orientation du défunt en direction de La Mecque et d’un espace aménagé spécifiquement qui regrouperait les musulmans ; en science islamique, cet aménagement est rentré dans la catégorie des ibadat (relatif au culte) où tout est permanent et fixé, en référence aux prescriptions coraniques qui insistent sur l’aspect " communauté de foi ", que ce soit devant la vie ou la mort. Il est à noter que la notion de " communauté de foi " (3) ou communauté spirituelle ne s’oppose pas à la dimension universelle de l’Islam car le Coran l’affirme " nous sommes tous des fils d’Adam… ". La communauté spirituelle ne fait pas référence à la race, mais à la foi.

Enfin, il faut citer l’abattage rituel ou le sacrifice d’Abraham, pour lequel un effort est entrepris par les autorités françaises, pour tenter d’améliorer, de faciliter les conditions d’abattage, en tenant compte de l’hygiène, des mesures de sécurité, mais aussi de la traçabilité du produit. Cependant, les délais d’attente sont trop longs et les places sont chères. Quant aux conditions islamiques relatives à l’abattage, elles ne sont généralement pas respectées par les musulmans. Rappelons ce que le Prophète nous a enseigné : " Ne point faire souffrir l’animal ", " sacrifier l’animal humainement ", " ne pas lui présenter la lame ", " ne pas le sacrifier, en présence d’un autre animal "… sans parler des règles relatives au traitement, au transport de l’animal.

La vie animale est sacrée en Islam. Que dire, alors de la vie humaine ! " Nul bête marchant sur terre, nul oiseau volant de ses ailes, qui ne soit comme vous, en communauté " Coran. L’espèce animale bénéficie aussi du statut de créature, tout comme les êtres humains. Toutes ces leçons d’humanisme sont oubliées par beaucoup de musulmans.

Une absence de dialogue au sein de la famille

Cette marginalisation a pu s’opérer, non seulement, parce qu’il existait une forte volonté de nous assimiler ou de nous rejeter, mais également, parce que les familles de confession musulmane, déracinées (leur itinéraire projeté d’un retour au pays étant définitivement obstrué) sont généralement " sinistrées ", sur le plan de la communication et de l’affectif. Ce qui fonctionne bien dans les familles françaises et qui n’existe quasiment pas chez nous, c’est le dialogue, les parents français parlent beaucoup plus à leurs enfants, ils s’en préoccupent davantage, les suivent à l’école, participent aux conseils de classe, chez nous ça ne se fait pas … " " Les enfants français se font moins frapper que nous. Leurs parents parlent quand les gosses font des bêtises, ils expliquent, essaient de comprendre… " Yazid Kherfi

Cette absence de dialogue, au sein des familles musulmanes, a constitué un véritable frein à l’émancipation de la jeunesse. Combien de jeunes reprochent à leurs parents leur ignorance et oublient, au delà de leurs maladresses et de leurs erreurs, combien ils leur doivent cet héritage silencieux du respect, du sens des limites, de la pudeur.

Nous avons, par ailleurs, subi surtout après les " 30 Glorieuses ", et avec la montée du chômage, une ségrégation sociale qui perdure : le communautarisme " à la française " se manifeste dans l’habitat et à l’école.

Les grands ensembles HLM construits à la fin des années 60 et considérés, à l’époque, comme un luxe, en raison des équipements modernes à l’intérieur des appartements (eau chaude, chauffage collectif, électricité …) sont, en effet, devenus aujourd’hui de véritables ghettos ethniques, vidés de leurs habitants " français ". Ainsi, les mauvaises conditions de vie, la violence de l’urbanisme sont facteurs d’exclusions, de tensions et de repli sur soi.

L’école de la République, dans les " quartiers ", constituée à 80 % de jeunes issus de l’immigration, a littéralement changé de physionomie. Où est la mixité sociale que l’on connaissait il y a 30 ans ? Son absence est facteur de frustrations et de démoralisations. " Dans la classe de transition où je me trouvais, les profs étaient soit absents, et ne prévenaient pas, soit muets parce qu’ils baissaient les bras, soit violents. Je n’avais jamais connu ça auparavant. Quoique pas très brillant, je n’étais pas un élève turbulent … là, je me retrouve dans une classe où sont concentrés tous les voyous du coin, filles ou garçons … Pour la première fois, je me suis senti mauvais par ce que je faisais et par l’image qu’on me renvoyait. Le seul souci que l’on avait de moi, c’est ce qu’on allait bien pouvoir faire de moi. J’étais nul, je le sentais, on me le disait, j’étais un mal aimé ". Yazid Kherfi

 

II - Le tissu associatif : entre divisions et rejets

  1. les associations musulmanes
  2. En moins de 50 ans, alors que la première génération faisait face au vide, en matière d’organisation islamique, les associations musulmanes se sont développées et se comptent aujourd’hui par milliers. On trouve un peu partout des groupes actifs, qui en se formant, organisent des rencontres, des conférences, des séminaires de formations, des sorties.

    Au cœur même de ce renouveau de l’activité islamique, on trouve des déchirements et des divisions, des luttes pour la représentativité, des oppositions entre les tendances idéologiques et nationalistes qui se rejettent, voire s’insultent et qui vont parfois jusqu’à s’exclure les unes des autres de la communauté musulmane, voire de l’Islam. Ces situations se compliquent d’autant plus par la présence " d’agents " consulaires et municipaux. Des associations travaillant dans la même ville, la même localité, s’ignorent et parlent, chacune de leur côté, de l’exigence et des bienfaits de la fraternité ! 

    La division et l’émiettement sont la règle, les volontés de pouvoir s’intensifient et le dialogue entre les différentes tendances a quasi disparu. Que faire pour remédier à cette situation ? Réinstaurer la culture islamique du dialogue, en tenant compte des sensibilités et des divergences de chacun.

    Coincés entre deux feux, les musulmans qui sont présents dans les conseils de quartier, réunions publiques, ou conseils municipaux, pour participer aux débats citoyens et démocratiques, se voient reprocher leur visibilité religieuse, et, lorsqu’ils vont rencontrer les associations religieuses ou vont dans les mosquées, on leur reproche leur visibilité sociale !

    Dans ce contexte, les extrémistes peuvent se développer, ce qui ne préoccupe pas les autorités, puisque ces musulmans ne s’intéressent pas à la " politique " ou à l’engagement social, qu’ils considèrent comme " kufr " (mécréant). L’extrémisme, à mon sens, n’est pas forcément exprimé par la tenue vestimentaire codifiée ou d’apparence religieuse ; il est chez ceux qui ne tolèrent pas les actions d’engagement social, qualifiées de " kufr " et qui jugent ceux qui les pratiquent, allant jusqu’à les excommunier de l’islam. Ces musulmans sont très minoritaires. L’islam est la religion du juste milieu : point d’extrême en Islam.

    Coincés entre deux feux, certains musulmans (4) nous qualifient de musulmans " light " ou " occidentalisés ", ainsi que certains pays musulmans, du fait de notre engagement social et notre état d’esprit moderne, c’est-à-dire en phase avec notre environnement, tandis que les autorités françaises nous qualifient " d’intégristes " ou proches des " Frères musulmans " d’Egypte. Mais, comment pouvons-nous être aussi proches, alors que 3 000 kms nous séparent, et que les contextes politiques, culturels, sociaux, économiques, géographiques, historiques, juridiques, climatiques … sont si différents ! Le paradoxe, c’est que ces mêmes musulmans " littéralistes "(4) qui refusent de faire de la politique, cautionnent par leur silence les Gouvernements du Sud qui les financent. " C’est au contraire quand on se tait, qu’on commence réellement à faire de la politique ! "

    D’autre part, des groupes sectaires (" associations de bienfaisances islamiques en France") proches des Gouvernements de Syrie et du Liban, réputés dans le monde musulman pour leur violence, bénéficient d’une couverture médiatique incroyable. ils passent pour des interlocuteurs valables, mais en réalité, ils développent les discours les plus durs, lorsqu’ils sont entre eux. En bref, pour eux, tout le monde est mécréant sauf les soufis !

    La notion " d’intégriste " est à éclairer, car elle est employée à tort et à travers, pour désigner les musulmans. Celle-ci semble comporter une connotation raciale ; aujourd’hui, on dit " intégriste ", hier, on disait " indigènes " (" sauvages " d’Afrique du Nord), " bougnoules " (ce sont les Allemands qui ont appelé les soldats français " bougnoules ", pendant la 2ème guerre mondiale, à cause des sandales de cuir qu’ils portaient aux pieds), ou encore " sauvageons " (caïds, voyous de quartier). Rappelons que la notion d’intégrisme trouve son origine au 18ème siècle, quand s’opposent l’Eglise et l’Etat.

     

     

  3. les associations laïques

Elles sont culturelles, sociales, éducatives et effectuent un travail ignoré par les médias et institutions ; mais, elles sont en perte de crédibilité chez les jeunes.

Beaucoup d’associations de quartiers se sont créées depuis les années 80 ; l’objectif était de penser l’aménagement de programmes culturels, de redéfinir la politique de la ville, la politique du logement, la politique économique afin de dénoncer les discriminations flagrantes, le chômage et la précarité 2 à 3 fois plus élevés parmi les Français d’origine maghrébine ou de confession musulmane, ou encore de lutter contre la double peine. Il est vrai que quelques progrès ont été faits, certes insuffisants.

Aujourd’hui, la plupart des associations commencent à entrevoir les dessous de la politique de la ville, les postes en jeu, la compétition pour y accéder, le choix des nominations sur les listes électorales, les sommes d’argent colossales dépensées au détriment des habitants des quartiers, les tentatives de récupération politique d’initiatives locales …La " marche des Beurs " des années 80, initiée à Lyon, puis lancée à Paris en 1983, a été récupérée. On est passé de " SOS Minguettes " à " SOS Racisme ", avec Julien Dray et Harlem Désir. D’ailleurs, lors d’une émission " Culture et dépendance ", retransmise sur France 3 en février 2003, intitulée " Juifs et musulmans : pourquoi tant de haine ? ", Patrick Klugman, président de l’union des étudiants juifs de France a déclaré : " Nous avons créé SOS Racisme " C’était un véritable scoop !

Tout se fait et se décide sans nous. Malgré les collectifs, les associations, les manifestations, les conférences-débats, les tracts que nous publions, les communiqués de presse … les élus et politiques ne viennent plus à la rencontre des quartiers, nous ne faisons pas partie de leurs structures pensantes et décisionnelles. Ils campent sur leurs positions et s’entourent d’une brochette de médiateurs sociaux pour se protéger !

Il faut ajouter à cela les affaires de corruption politique qui ont clairement montré qu’il y a une justice à deux vitesses ; un jeune de confession musulmane ou un jeune de quartier peut encourir la même peine de prison pour un délit mineur qu’un homme politique coupable d’abus de biens sociaux. L’arrivée des politiques dans les quartiers à la veille des élections, l’absence de droit de vote des résidents étrangers au niveau local, installés depuis 40 ans, participant à l’enrichissement économique de la France et payant des impôts, les hémicycles du Parlement qui ne représentent pas la France plurielle, les promesses non tenues, la diabolisation des parents, des jeunes, de l’Islam …

Tout ce contexte incite les jeunes à se désintéresser de la politique. Une minorité d’entre eux se lance dans des actions violentes : émeutes, voitures qui brûlent, incivilités. Ces actes, lorsqu’ils sont commis à l’encontre de personnes à revenus modestes ou précaires, (8 fois sur 10) portent atteinte doublement aux victimes marquées à la fois par la ghettoïsation et par la délinquance subie. Même s’ils doivent être sanctionnés, ils révèlent en réalité une vraie souffrance. En décembre 2001, 50 voitures ont été brûlées dans le quartier des Résidences à Belfort, ainsi qu’un gymnase, un grand magasin a été fermé suite à des phénomènes de violence. Le soir de Noël, dans le même quartier, c’est un autre gymnase qui a été incendié volontairement, ainsi qu’une école primaire, peu avant. On observe également ce phénomène chez nos voisins de Montbéliard, Mulhouse, sans parler de Strasbourg et de ses banlieues (1 800 voitures brûlées en 2001, 1 600 en 2002), qui a la " palme d’or " et qui devient, malheureusement un modèle pour beaucoup de jeunes, en mal de vivre et manque de repères. Et pourtant, au lieu d’essayer de comprendre les auteurs de ces délits, on les juge, on les condamne, sans chercher de solutions éducatives.

Mais, le pire pour les responsables associatifs, et le paradoxe, c’est que les jeunes ont pu par ces moyens radicaux obtenir plus de choses que nous, en militant. Rappelons que c’est suite aux émeutes que s’est mis en place un Ministère de la Ville. Les associations ont donc échoué, il faut le reconnaître car les " petits " croyaient au discours des " grands " n’obtenant rien. La haine des jeunes vis-à-vis des institutions vient en partie de ce que nos actions militantes ont échoué.

 

3) Entre associations culturelles et laïques : les nouveaux " prédicateurs " sociaux 

Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde qui milite et se bat dans les quartiers. Pourtant, le travail des associations et des travailleurs sociaux reste nécessaire mais largement insuffisant. On assiste donc à un nouveau phénomène : l’arrivée des associations religieuses, de nouveaux " prédicateurs religieux " qui réussissent là où les travailleurs sociaux ont échoué. Il s’agit, par exemple, de " Tariq Ramadan – professeur de philosophie et d’islamologie né en Suisse- et de Hassan Iquioussen –théologien, historien, né en France- issus de la double culture comme les jeunes, dont les propos ont plus de portée que les injonctions paradoxales de l’école ou du service social " Dounia Bouzar (5).

Qu’est-ce qui séduit tant les jeunes dans ce discours religieux ? Faut-il y voir un danger ? S’agit-il d’islamiser les banlieues ? Non, car il est du devoir du musulman, qui en a la compétence, d’enseigner l’Islam, d’éduquer, de transmettre afin de lui permettre de retrouver sa véritable identité musulmane, c’est-à-dire une identité respectueuse du cadre républicain, des valeurs de la laïcité plurielle, de justice, de respect de l’autre…

Dounia Bouzar explique les clés du succès de ces associations " l’entrée dans la religion, loin d’être un " retour aux sources ", s’avère un facteur d’intégration et permet de vivre pleinement le double lien avec ses parents et la société occidentale ". Ce changement d’état d’esprit nous fait prendre conscience de la dimension plurielle de l’identité française. Ainsi, ayant retrouvé une identité, nous nous sommes réconciliés avec une partie de nous-mêmes. Nous avons hérité de l’histoire de France, de la culture française. Nous rêvons en français, parlons, pensons en français. Reste l’autre identité, celle de nos parents (Algérie, Maroc, Turquie …)

4) Le regard de la société

L’Islam est-il compatible avec la République ?

Les institutions françaises doivent changer leur façon de nous aborder. Elles doivent nous considérer comme de véritables concitoyens et non de potentiels suspects menaçant l’équilibre de la nation : ce serait le règne du soupçon caractérisé, entretenu par la phobie sécuritaire. Par exemple, l’on installe des caméras dans les quartiers, pour lutter contre l’insécurité ! " Souriez, vous êtes filmés " ! A-t-on demandé leur avis aux habitants ? Ces idées, initiées par la Gauche, sont relayées par la Droite. " La liberté, selon Sarkozy, c’est le respect de la sécurité de chacun " .Mais, à vouloir trop faire de sécurité, ne porte-t-on pas atteinte aux libertés individuelles.

Les acteurs associatifs, citoyens engagés, musulmans, pratiquants, revendiquent des lieux de culte, l’aménagement de carrés musulmans, des aumôniers pour les hôpitaux et les prisons, des imams (de nationalité étrangère ou non) formés en France, en somme un Islam de France indépendant politiquement et financièrement ; ils appellent à plus de justice sociale, font de la prévention, du civisme. Ils sont considérés par certains comme forcément " intégristes " et " islamistes ", ceux que Alexandre Dell Valle (6) désigne comme " voulant se couper de l’ordre impie occidental et conquérir le monde ", ceux-là même qui représentent 15 à 20 % de la population musulmane par opposition aux musulmans dits " sociologiques ", les non-pratiquants, tous " modérés ", d’après le même Alexandre Dell Valle.

Ces nouveaux acteurs sociaux sont, pour l’essentiel, diabolisés par ceux qui instrumentalisent le racisme, le sentiment d’insécurité, pratiquent des amalgames destructeurs, en assimilant le renouveau de l’Islam à l’intégrisme, et nient les spécificités de l’Islam. Ils ne sont pas considérés comme " des citoyens dans l’Etat, mais plutôt comme des loups dans la bergerie " Tariq Ramadan. Les interventions répétées des Etats dans les affaires des musulmans, en contradiction flagrante avec les principes mêmes de la laïcité que l’on dit vouloir protéger, laissent perplexes. Des fonctionnaires d’Etat, voire des ministres, savent ne pas être des prêtres, des curés ou des rabbins, mais ne sont pas gênés pour se faire muftis !

Quelle loi autorise cette nouvelle gestion coloniale intérieure ? Il faut cesser de surveiller et d’infantiliser les citoyens musulmans. Ainsi, Michèle Tribalat, chercheur, démographe, illustre bien ce regard de la société, quand elle affirme qu’elle ne connaît pas " d’Islam idéal " et nous demande de " faire l’effort de changer et de montrer ce changement à la société ".

L’Etat de Droit a des règles qu’il faut respecter et appliquer. Rappelons, par exemple, qu’aucun texte de loi n’interdit en France le port du foulard islamique dans les écoles. Il n’y a donc pas de discrimination juridique. D’ailleurs, le Conseil d’Etat a reconnu récemment qu’il n’était pas un signe ostentatoire de prosélytisme religieux. Cessons alors d’imposer le retrait du foulard, qui est une injonction divine, conformément à la Torah, à la Bible, au Coran, l’imposer est une entorse faite à la loi ! Il est symbole de pudeur et de liberté. Dans une société d’apparence, de mise en scène, de tentations, de consommation, il est difficile de résister.

Par exemple, la publicité de sous-vêtements féminins Liza Charmel dans les abris-bus, ça peut choquer un enfant ou des parents ; en tout cas, ça rabaisse la femme à l’état d’animal, de femme-objet, prisonnière de la loi du marché. Le foulard peut être considéré comme une forme de résistance altermondialiste de la femme (à condition, bien sûr, que le port soit motivé par un acte de foi). Le foulard n’est que l’expression apparente de la pudeur, en réalité beaucoup plus profonde et intime, que celle qui s’exprime aussi dans les gestes, l’attitude, le comportement, la parole … La pudeur, c’est imposer à l’autre de regarder chez moi mon être spirituel, plutôt que de lui présenter mon apparence physique.

Pourtant, certains " extrémistes laïcs " persistent, au nom de la sacro-sainte laïcité. Ils s’entourent de quelques musulmans pour donner plus de crédit à leurs déclarations. Ainsi, Rachid Kaci l’affirme " le port du voile est le signe ostentatoire de la soumission de la femme à son mari ". Il y voit une manipulation étrange ! D’autre part, Hanifa Sherifi, consultante pour l’affaire du voile, nommée par l’Etat, déclare que le " foulard est discriminant pour la femme ", sans parler de la " nouveauté 2003 ", Latifa Ben Mansour qui a déclaré dans le documentaire " Complément d’enquête " sur les réseaux intégristes, fin janvier 2003, " c’est un signe d’intolérance … " Alors ça, c’est la meilleure !!!

Il est inutile de rappeler que ces discours néo-coloniaux sur l’intégration des musulmans appartenant au courant de pensée des " démocrates " laïcs ou " libéraux " (7) ne nous proposent rien d’autre qu’une assimilation à la culture française. En somme, ce qui nous est demandé, c’est " sois moins musulman pour être plus français ". Cela me rappelle étrangement un autre discours assez similaire, de la part du Gouvernement algérien " sois moins kabyle ou berbère pour être plus algérien " ! Nous l’affirmons, " nous sommes français  de confession

musulmane et ils sont algériens de culture berbère ". Il n’y a aucune contradiction entre les deux. De la même manière, nous n’avons pas le droit conformément à la tradition musulmane, d’imposer le port du foulard.Point de contrainte en Islam " dit le Coran.  Il faut donc respecter les convictions de chacune et soutenir, de la même façon, tant les femmes qui le portent et qui se voient forcées de l’enlever, dans l’espace public (école), ou dans l’espace privé (entreprise), que celles qui ne veulent point le porter et à qui il est imposé dans l’espace privé (familles) ou public. Ce doit être un acte de foi, de cœur, qui ne peut faire l’objet d’aucune contrainte. Il faut respecter, aussi, le choix des femmes qui ne désirent pas le porter. A chacune son propre cheminement spirituel.

Pourquoi focalise-t-on sur le " foulard islamique ", devenu une affaire d’Etat, qui sert à distinguer les musulmans " modérés " des " extrémistes ", perçu comme de " l’entrisme " dans les écoles, pourquoi cet acharnement médiatique alors que tant de femmes souffrent de violences conjugales, familiales, les filles-mères abandonnées par leur mari ou concubin, et les prostituées qui n’ont pas toutes choisi de faire ce " métier " ; toutes ces femmes souffrent aussi d’une violence terrible, sans que l’on s’en soucie.

Aujourd’hui, une initiative nationale est lancée par Fadela Amara, Présidente.nationale de la " fondation de la maison des potes ". Cette action, appelée " ni soumise, ni p… " (attention, peut heurter la sensibilité de nos lecteurs !), vise à dénoncer les situations d’agressions et de traitements subies par les filles ou femmes de banlieues (" tournantes ", assassinats de jeunes filles brûlées à l’essence, pressions des jeunes, du frère…). Ces situations réelles, tragiques, douloureuses tant pour les familles que pour les victimes, et inhumaines, doivent être sévèrement sanctionnées ! Mais, en réalité, on risque de confondre " ni soumise " avec le statut de la femme en Islam, tandis que " ni p…. " exprime le machisme, la maltraitance, voire le viol, commis à l’égard des jeunes filles par une minorité de jeunes frustrés, révoltés, se sentant exclus de la société et traversant une crise identitaire, ceux qui ont grandi avec la culture du sexe et de la violence (cinéma, télé, musique …) - loin de moi l’idée que  tout est violent et négatif à la télé, au cinéma, ou dans la culture Rap/Hip-hop - ou encore, avec les violences conjugales, dont sont victimes les femmes.

 

Ces jeunes que j’ai entendus s’exprimer au nom de l’Islam, sur M6 dans l’émission " Zone interdite " ont en fait l’Islam comme étiquette et le vide comme réalité ! Même si la responsable de cette campagne nationale, le 2 mars 2003, à la question de l’animateur de " zone interdite ", Bernard de la Villardière, " casse-bonbons ! " : " l’erreur ou le problème ne vient-il pas du Coran ? ", répond " je suis musulmane, pratiquante … ce n’est pas le Coran qui est en cause, mais l’interprétation que font des musulmans ou qui sont l’œuvre d’imams autoproclamés … ", je pense que nous avons à faire à une nouvelle manœuvre politicienne. Qu’est-ce qui se cache derrière cette manœuvre ? Ne vise-t-elle pas, une fois de plus, à discréditer l’Islam ?

 

Je pense que, malgré la justification donnée par la responsable de la campagne, l’ensemble de l’opinion publique gardera l’image de l’affiche publicitaire qui exprime un message clair : " ni soumise ", c’est l’islam, " ni p…. ", c’est les banlieues et les violences conjugales. Islam + banlieue = cocktail explosif ! D’autre part, ces agressions à caractère sexuel sont l’œuvre d’une minorité de jeunes ou adultes et l’on assiste à une amplification du phénomène par les médias.

 

Cette réflexion globale m’amène à poser deux questions :

Pour terminer cette partie concernant le regard de la société, je livre à votre réflexion l’intervention de Didier Peyrat, auteur de " Eloge de la sécurité " ( !), dans l’émission " culture et dépendance " du 5 mars 2003, en présence du Ministre de l’Intérieur Sarkozy ; il déclare qu’à l’issue du match de la réconciliation France/Algérie, en 2002 : " Lorsque ces jeunes ont sifflé le drapeau français et l’hymne national, je me suis senti " sifflé ". Et les travailleurs sénégalais, marocains, algériens qui sont morts pour la France, pendant la 1ère , puis la 2ème guerre mondiale, pendant la guerre d’Indochine, souvent oubliés de la mémoire des Français, font-ils partie du drapeau de la République française, auquel M. Peyrat fait allusion ? Quant à M. Sarkozy, qui a probablement souffert d’un manque affectif, dû au divorce de ses parents, alors qu’il avait 6 ans, même s’il ne le reconnaît pas, a lui même déclaré " Pas de liberté possible sans le respect de la sécurité de chacun ". Doit-on lui expliquer qu’un rappel à la règle, sans amour, sans valorisation de l’enfant, du jeune, est voué à l’échec, car c’est la frustration, l’affrontement direct qui risquent de se produire. Je sais de quoi je parle, j’étais éducateur auprès d’un public de 13 à 22 ans !

 

 

III – La réforme

  1. Une nouvelle façon d’agir
  2. Il faut, aujourd’hui, que chaque association développe une nouvelle façon d’agir, fondée sur la collaboration, l’échange et le partenariat avec les autres associations musulmanes, et plus largement, avec toutes les institutions, associations, personnes s’intéressant à l’éducation, la prévention sociale ou à la formation civique. Il faut chercher à tirer le maximum de bénéfice des compétences de chacun quelles que soient les sensibilités ou les tendances.

    Revenir aux principes de l’Islam, c’est-à-dire manifester notre respect et notre fraternité à tous ceux qui s’engagent pour le Bien, quelle que soit leur origine ethnique, culturelle, religieuse, idéologique, fera de notre diversité un atout et non un handicap. Pour cela, il faut

     

  3. Quel doit être le sens de notre engagement ? Redéfinir l’identité musulmane et le sens de notre présence
    1. L’identité musulmane est tout sauf sectaire ou fermée.
    2. C’est une identité dynamique, qui, pour rester fidèle, réfléchit et maîtrise son évolution ". Tariq Ramadan (8)

      Etre musulman, quel que soit le pays, c’est vivre une foi, une pratique, une spiritualité, en développant une intelligence du texte et du contexte dans lequel on vit ; c’est éduquer et témoigner, agir et participer.

      Ce n’est pas développer une attitude de rejet de la société. Mais, c’est tenter de comprendre l’Histoire de notre société, sa culture, ses institutions, ses règles, ses lois …

      Partie prenante des dynamiques sociales et des processus de réforme, nous pouvons apporter notre contribution.

    3. Quatre critères conditionnent notre présence

    Cette démarche implique une bonne connaissance du terrain : acteurs sociaux, spécialistes, institutions.

  4. Loisirs et divertissements
  5. Tenant compte des âges, des niveaux, des spécificités de chaque discipline, des réalités de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte, de l’éthique, des activités culturelles et artistiques (théâtre, cinéma, télé) peuvent être développées et favorisées, en gardant le recul nécessaire car, le " 7ème art " aujourd’hui, est une véritable industrie, qui, pour assurer son succès, doit associer le sexe et la violence. Où sont passés les " Louis de Funès ou Pierre Richard " de ma jeunesse ? Pourquoi autant de dessins animés violents ?

    Il existe une culture islamique européenne ou occidentale, dans le domaine de l’art et du chant. Faire connaître la calligraphie, le chant, par exemple : " Silence des mosquées " chanté par 5 jeunes français de confession musulmane, Zaïn Bikha " Gospel musulman ", chanté en anglais par un Sud africain, chants de Yusuf Islam (Cats Stevens)…, l’expression corporelle …, tout ce qui peut être valorisant et stimulant, comme les activités sportives, éducatives, basées sur le fair play, l’échange, la recherche du plaisir, et pas uniquement l’esprit de compétition, ainsi que la redécouverte de la nature et des activités de plein air.

  6. Mémoire
  7. Savoir qui l’on est, c’est savoir d’où l’on vient. Il est impératif de restituer la mémoire pour revaloriser les citoyens de confession musulmane : mémoire sur l’exil, mémoire sur les sources vives de la pensée en Afrique du Nord, mémoires de la civilisation berbère, ottomane, africaine, mémoire de la civilisation islamique et son apport à l’Occident dans le domaine de la médecine, des mathématiques, de la géologie, des techniques, des arts, mémoire des blessures de la colonisation. En ce sens, lire : Benjamin Stora, Mohamed Harbi, Kamel Chachoua " l’Islam kabyle " (ce livre soulève le débat de la prétendue désislamisation des Berbères, topo colonial largement entretenu depuis), Haïdar Baumate " Apport des musulmans à la civilisation européenne " Robert Mautran " Histoire de l’Empire ottoman "

    De tout cela, il faut parler, débattre, à partir d’expositions, de conférences, de films…

  8. Structures d’accompagnement
  9. Nous avons besoin de structures d’accompagnement pour

    A noter que, quasiment toutes ces structures existent déjà dans la société française, mais qu’elles sont mal ou sous utilisées.

  10. Une éthique de la citoyenneté

Voter ne veut rien dire ! Voter pour un français de confession musulmane ne garantit pas son honnêteté, ni sa compétence ! Il faut étudier l’Histoire, le fonctionnement des institutions, les enjeux politiques, économiques. Il faut enseigner, transmettre, ce que nous pourrions appeler une éthique de la citoyenneté, basée sur une spiritualité responsable, une conscience critique, un engagement à la Réforme, au nom des valeurs universelles et de la dignité humaine.

 

IV - Les réformes politiques et économiques

  1. Réformes politiques
    1. Politique internationale

    Derrière les beaux discours des pays occidentaux, fondés sur le respect des Droits de l’Homme et de la démocratie, se cache une réelle hypocrisie. Les démocrates d’ici soutiennent les dictatures de là-bas. Et les dictateurs, conscients du rôle de protecteurs des intérêts occidentaux qu’on leur fait jouer, n’hésitent pas à empêcher toute initiative populaire d’émancipation sociale, qui mettrait en péril leur pouvoir

    " Un peuple ignorant, soumis ou silencieusement réprimé est la garantie de tranquillité des dictateurs… " Tariq Ramadan " soutenus sans état d’âme par les pays du Nord pour des raisons purement stratégiques ou géopolitiques ".

     

    Quelques repères et faits historiques

    Les oppositions d’hier qui étaient " cataloguées " communistes, théologiens de la Libération, sont aujourd’hui les fanatiques, intégristes, islamistes ou antimondialistes. Les Gouvernements des pays du Sud sont presque tous illégitimes, ils ne représentent pas la population ; ils représentent leurs intérêts et il arrive que ces intérêts les opposent à leur propre peuple. Ces régimes en place répriment toute expression politique, étouffent toute mobilisation populaire. Ils gèrent le pays par la division.

    L’Algérie, par exemple, pays riche, peuplé de pauvres avec 70 % de population de moins de 30 ans, est dirigée par une gérontocratie, alors que l’on sait que les revendications de la région de Kabylie, longtemps ignorées, étaient basées sur des mots d’ordre nationaux comprenant toute la population algérienne qui souffre. Elles portent sur des questions économiques, sociales (chômage, crise du logement, pas de couverture sociale…) et politiques : l’Etat de Droit est bafoué, les droits de l’Homme ne sont pas respectés, les libertés sont étouffées, les élections sont truquées ; de plus, la revendication identitaire, pourtant légitime, fut si longtemps ignorée, alors que nous savons qu’admettre les références islamiques, c’est accepter les identités

    Point de nationalisme en Islam. L’Islam, religion d’Etat en Algérie, a été soumis à l’idéologie du " panarabisme " qui est en contradiction avec les enseignements de l’Islam. Il est vrai, d’après la tradition musulmane, que la langue arabe est d’essence divine, mais, elle doit s’exprimer dans les " ibadat " - c’est le culte musulman codifié et permanent : prière, ramadan, pèlerinage, enterrement…- où aucune innovation ou " bidha " n’est permise dans ce domaine. D’autre part, dans un autre domaine, celui du " tawhid " (unicité de Dieu), et dans les piliers de la foi et piliers de l’Islam, point d’innovation également, c’est-à-dire pas d’interprétation possible. Mais, dans le domaine des sciences sociales, les " muamalat ", tout est autorisé, sauf ce qui est interdit. Ainsi, l’Islam a cette capacité fondamentale à reconnaître toutes les cultures et à leur permettre de s’exprimer pleinement, tant au niveau de l’art, du chant, de la littérature, de la langue … à condition qu’il y ait respect du cadre islamique. Le Coran l’affirme " je vous ai créé d’un mâle et d’une femelle, sous forme de peuples, de tribus, afin que vous vous entre-connaissiez… ". Ainsi, la diversité culturelle, voulue par Dieu, est une source de richesses et non de conflits. Nous pouvons donc affirmer qu’il existe une culture islamique européenne, américaine, malaisienne, indonésienne, berbère, arabe, turque … car l’Islam est un et il y a une pluralité culturelle en Islam. Ne confondons pas les Ibadat, dans leur cadre d’expression, leur pratique, avec les muamalat. C’est là l’erreur fondamentale, qui était une stratégie, née de la pensée du tyran Nasser, et utilisée par nombre de pays musulmans, dans le but de conquérir le pouvoir, par l’instrumentalisation de la religion.

    Ainsi, on agite le " fantôme du séparatisme berbère " pour mieux diviser le peuple algérien qui a une identité multiculturelle. Il faut souligner aussi que le nationalisme arabe ou arabisme a donné naissance au berbérisme.

    En 1996, le journaliste Ghania Mouffok interroge Louisa Hanoune (10): " Vous évoquez souvent les manifestations de 1980 qui ont été les premières grandes manifestations publiques contre la " pensée unique ", pour la reconnaissance de la langue Amazigh (11) (Printemps berbère). Votre langue maternelle, c’est l’arabe. Vous êtes-vous sentie quand même concernée ? Louisa Hanoune répond : " Je suis arabophone, mais démocrate, bien sûr que cette revendication est aussi la mienne. Pour moi, il ne peut y avoir de démocratie, s’il n’y a pas une Constitution et des institutions qui consacrent et garantissent le principe d’égalité entre les citoyens, ce qui signifie la reconnaissance de la langue amazigh et que soient dégagés les moyens publics de son développement …

    En 1980, j’étais encore étudiante à Anaba, une région arabophone, pourtant, au moment de ces manifestations, les rumeurs alarmantes parlaient de la répression, l’ensemble des médias, avec l’unanimisme qui caractérisait la propagande du régime, accusait la Kabylie berbérophone de " rébellion séparatiste ". Je me souviens encore de cet article d’El Moudjahid qui rapportait que les " Kabyles  avaient brûlé l’emblême national ", ce qui était, bien entendu, complètement faux, mais, permettait de justifier la répression et surtout de diviser le pays en arabophones et berbérophones, en jouant sur la fibre nationaliste…

    La revendication amazigh est une revendication démocratique qui pose la question identitaire à partir de nos origines, de notre histoire, plusieurs fois millénaire, et non pas de l’idéologie arabo-islamique…Derrière l’idéologie arabo-islamique se cache la volonté d’effacer le pluralisme culturel et linguistique des Algériens, qu’il s’agit de dissoudre dans " une grande oumma mythique ", la nation arabe, fondée sur la religion et la race arabe … Sont exclues les autres populations, qui doivent se renier. Les Berbères au Maghreb, les Kurdes en Irak, en Syrie.

    … A l’indépendance, la nouvelle caste militaire qui s’est emparée du pouvoir a étouffé ces revendications pour asseoir sa propre légitimité… Depuis l’indépendance, toute tentative de soulever cette question est réprimée (jusque dans les années 80, le simple fait de porter sur soi quelques lettres en caractère tifinagh (caractère de l’alphabet berbère) vous rendait passible d’emprisonnement, sous prétexte d’une atteinte à l’unité nationale). La nouveauté du " Printemps berbère ", c’est que cette revendication n’était pas seulement identitaire, mais aussi démocratique : … elle était posée publiquement et massivement. Ce mouvement a été aussi le premier à revendiquer publiquement de nouvelles institutions … Lors des émeutes de 1988, à Alger, les forces de sécurité vont recevoir l’ordre de tirer sur les jeunes qui manifestaient en criant : " nous ne sommes pas des pilleurs, nous sommes seulement perdus ". Aujourd’hui, c’est ce régime que l’on demande aux femmes de soutenir, sous prétexte de lutte contre l’islamisme. Mais, quand donc comprendra-t-on qu’il est le principal carburant de l’islamisme et de toutes sortes de dérives radicales, par son entêtement à garder le pouvoir, quel qu’en soit le prix ? "

    Ces commentaires d’une femme résistante et digne, confirment l’idée que j’ai tentée d’exprimer, relative à " l’épouvantail du séparatisme berbère " et concernant l’illégitimité du régime qui met les médias sous sa botte car " quand tu contrôles les médias, tu diriges l’opinion publique ".

    Il faut noter aussi que l’idéologie arabo-islamique ne vise, en réalité, ni l’Islam, ni la culture arabe ou l’arabité, mais l’idéologie du panarabisme et l’instrumentalisation de l’Islam à des fins personnelles ou politiques. Donc, à mon sens, ce terme pour exprimer l’idée d’une dérive ou d’une instrumentalisation est mal approprié, car on peut l’utiliser dans d’autres situations sans faire référence à l’idéologie qui se cache derrière. Par exemple, on peut parler de librairie arabo-islamique, de chants, de culture arabo-islamique ou arabo-musulmane, pour faire référence à la religion, à la littérature, à l’art …

    Mais, aujourd’hui, la tâche est rendue difficile par les " autonomistes ", pions du pouvoir, les " islamistes radicaux ", non favorables au dialogue qui jouent le jeu du régime et qui sont parfois entretenus, et les partis dits " démocratiques " qui ont pénétré les arcanes du pouvoir.

    D’un autre côté, les partis dits " démocratiques " ou proches du peuple (religieux ou laïques) ont pactisé avec le régime. Pourquoi ? parce qu’eux aussi, ils avaient faim et ils voulaient leur part du gâteau. Ce sont les mêmes partis politiques qui ont réclamé l’annulation du processus électoral ! Etrange, non ? Il faut savoir que c’est le général Nezzar qui a annulé le processus électoral en 1991, destitué le colonel-dictateur-fanatique-illettré Chadli par un coup d’Etat en douceur ! Ce dernier (Chadli) qui avait nourri le FIS, puisqu’il avait désigné ses membres comme médiateurs de rue en 1988, en raison de la crise économique, du surendettement et des révoltes croissantes du peuple, l’Etat s’étant, ainsi, désengagé du travail social. Pas étonnant que le FIS contrôlait une grande partie des Assemblées communales jusqu’en 91. Pour ma part, j’étais contre l’annulation du processus électoral car c’est anti-démocratique. Mais, j’étais contre le programme du FIS car il comportait des contradictions, des incompétences, des erreurs (pas de programme économique, culturel, …). Au sein même du FIS, il y avait une aile intellectuelle, favorable au dialogue, au non-recours à la violence, et une aile radicale, composée d’esprits obtus, réactionnaires, agressifs.

    Comme je l’ai dit précédemment, voter pour un musulman ne garantit pas son honnêteté et sa compétence. Dans le cas de l’Algérie, ce n’est pas parce que l’on me présente un Etat islamique comme affiche publicitaire que je vais tomber dans le panneau du " votez FIS, vous irez au paradis ! ". Rien dans le programme du FIS ne garantissait un Etat de droit, le pluralisme, la justice sociale et l’éducation. La constitution d’un Etat islamique doit-elle signifier, pour autant, la mise à l’écart, l’abandon, la suppression de toutes les compétences, qualifications techniques, professionnelles ou humaines, de la société civile (muamalat) ? Doit-on renier tout vocabulaire qui ne serait employé dans le Coran ? Ainsi, une personne qui a des notions de médecine ne peut pas remplacer un médecin, un médecin généraliste ne peut pas remplacer un médecin spécialiste, un juriste en droit civil ou pénal ne peut remplacer un juriste en droit social ou fiscal, on ne peut remplacer un économiste, un psychologue, sociologue, éducateur… Tout cela exige des compétences spécifiques et un réel savoir-faire. L’ensemble des partisans du FIS étaient ennemis de la " démocratie " (13) et ennemis des " ennemis de la démocratie " (c’est-à-dire le régime qui a annulé les élections). Donc, ils étaient ennemis d’eux-mêmes ! Ce n’est pas compliqué : 1+1 = 2 !

    Toutefois, aucune erreur politique ne peut justifier l’horrible répression qui s’est abattue sur les partisans du FIS ! Et que l’on arrête de nous dire que l’on est contre l’islam ou contre l’Algérie par ce que l’on critique le programme du FIS, que l’on arrête de nous qualifier d’anti-américains car on critique la politique de l’Etat américain et que l’on arrête de nous dire que l’on est antisémite ou judéophobe car on critique la politique sioniste de l’Etat d’Israël.

    L’année 2003, " année du pouvoir algérien en France " est l’occasion pour nous, citoyens français, de contredire dans la sérénité et la légalité, cette vaste opération médiatique et mercantiliste, qui consiste à rajouter du mensonge au mensonge, à redorer l’image d’un régime en perte de crédibilité, illégitime et corrompu. Quant à Bouteflika, vitrine démocratique, non élu par le peuple, proche du régime saoudien, il essaie de se défaire de la main mise du pouvoir militaire, constitué de plusieurs clans qui s’affrontent, en tentant de trouver des alliances extérieures… Mais, comme le chante Baaziz (14) " Zorro ne pourra pas sauver les Algériens ".

     

    En France, on confond souvent le statut de la femme musulmane conformément au Coran avec celui du code de la famille, en Algérie.

    Le code de la famille comprend 222 décrets ; il a été rédigé en mai 1984 par une Assemblée FLN laïque, sur des " bases religieuses " ; il maintient la femme en état de sujétion. Ainsi, rédigé dans un esprit " machiste " et mêlé aux traditions, il ne permet pas à la femme algérienne de s’émanciper. Tout a débuté en 1979, avec l’instauration par le Ministère de l’intérieur, d’une circulaire interdisant aux femmes de quitter l’Algérie, sans autorisation ou présence d’un tuteur. En 1980, le Président Boumédienne dit " Staline " est mort et il est remplacé par un autre colonel, c’est Chadli Bendjedid. " On le dit libéral et il ne fait rien d’autre que d’écraser le mouvement culturel berbère ! " (15). C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale va examiner un texte de loi. Ce texte était appelé, au départ " projet de code du statut personnel ". " Ce qui a choqué l’opinion, c’étaient les discussions sur la longueur du bâton qui devait flageller les femmes, pour se les soumettre ". Le mouvement de protestation va s’élargir, grâce à l’arrivée des anciennes " moudjahidates ", les maquisardes qui avaient participé à la guerre de libération nationale et qui reprochaient au pouvoir sa légitimité historique.   " Alors que la répression s’abat sur le " printemps berbère de 1980", sur le " mouvement islamiste " de 82 et sur " l’opposition des femmes " de 82, le régime algérien profite des arrestations, pour faire passer le " code de la famille ". " La contestation la plus spectaculaire avait commencé avec le mouvement culturel berbère, en 1980. Elle s’était poursuivie avec notre mouvement, en 1981, puis avec le mouvement islamiste, qui avait organisé ses premières manifestations publiques en 1982 et donné naissance au premier maquis islamiste de Mustapha Bouyali. Le navire prenait l’eau de toute part ". " C’est justement l’absence de ces libertés pour lesquelles nous nous battions qui a condamné la population à avoir recours à la rue pour s’exprimer. Dès le départ, ces émeutes à Sétif, à Constantine, dans la Casbah, ont pris la forme de manifestations contre ce régime, symbolisé par les walis ". Ces évènements racontés par Louisa Hanoune ont suivi ceux cités précédemment. Louisa Hanoune a été arrêtée et emprisonnée en 1983 et 1988.

    Illustrons quelques décrets de ce code. Si une femme veut divorcer, les coups et les passages à tabac ne sont pas considérés comme des conditions suffisantes ! Mais, si un homme veut divorcer, le juge prononce aussitôt le divorce, et la loi est allée encore plus loin, en lui reconnaissant le droit de garder le domicile conjugal. Les rues d’Alger sont pleines de ces femmes répudiées, jetées à la rue avec leurs enfants, le plus légalement du monde. La polygamie est légalisée, même si elle reste marginale. A quelles conditions ? Dans un couple, le mari est le seul tuteur légal des enfants ! En cas de divorce, par exemple, une mère ne peut prendre aucune décision concernant ses enfants, sans l’accord du mari, même s’il vit à Honolulu !

    De plus, ce code définit les devoirs des femmes : elles doivent obéissance au mari, au père et en passant, aussi aux beaux-parents… A quelles conditions ? Si le régime algérien a fini par céder sur la question du multipartisme après 30 ans de monopartisme, pourquoi ne veut-il pas, aujourd’hui, abroger le code de la famille ?

    Réponse de Louisa Hanoune : " Quand ce code de la famille, qui est en réalité un code contre la citoyenneté, est débattu en 1981, l’objectif assigné à l’Assemblée est d’œuvrer à éviter ce qui est de nature à menacer la structure de la famille et d’employer tous les moyens disponibles pour écarter les dangers qu’elle pourrait rencontrer… Ce code est une prison familiale contre l’émergence de l’individu au sein de la famille, et donc, dans la société. Cette structure de la famille est un des fondements de maintien du régime … La famille rêvée par ce régime est un lieu de pouvoir hiérarchisé à son image : en haut, l’armée, le chef de famille, en bas, nous, les sujets … En libérant les femmes de toute tutelle, fondée sur la discrimination sexuelle, les hommes seront libérés pour accéder au statut de citoyen. Cette révolution marquerait la fin du régime totalitaire. En reconnaissant le régime d’égalité et de liberté, il proclamerait réellement la République. Il est moins dangereux, pour le pouvoir, de reconnaître une kyrielle de partis, plus de 50, quitte à annuler les élections quand elles lui contestent la légitimité et à dissoudre des partis, que d’abroger ce code ".

    Il est important de montrer dans quel contexte (enjeux politiques, machisme …) a été rédigé le code de la famille, sinon l’on ne peut comprendre. Inutile de vous rappeler qu’il comporte des contradictions flagrantes par rapport au véritable statut de la femme en Islam (16). Entreprendre des réformes, c’est donc avoir des références historiques, politiques, culturelles, religieuses, sociales. Sinon, on est sujet à l’amalgame, à la confusion, à la désinformation.

    Les réformes, sur le plan international, passent par une étude sérieuse, dans le contexte historique, politique et social des sujets dits " tabous " comme l’Islam qu’on veut présenter comme " la religion des Arabes ", la femme " soumise à son mari " car si on s’arrête uniquement à une étude des sources, cela ne suffit pas.

    Nous vivons en France, dans un formidable espace de liberté, ce qui nous contraint à un devoir de responsabilité. Donc, la réforme politique passe aussi par une prise de position claire pour dire non à cette mascarade, au nom de la dignité humaine, de la justice et du droit, parce que c’est tout un peuple qui souffre et qu’il faut soutenir : Non aux guerres pour le pétrole (Irak, Afghanistan, Tchétchénie). La guerre contre l’Irak n’a jamais cessé. Kissinger, secrétaire d’Etat américain, a déclaré dans les années 70 : "le pétrole est trop important pour être entre les mains des Arabes… ".  Non au massacre du peuple palestinien par l’armée israélienne, Non à tous les terrorismes d’où qu’ils viennent, surtout contre des populations civiles … Non à la faillite de l’ Argentine, déclenchée par le diktat du FMI, lorsque l’on sait que la dette actuelle, c’est-à-dire 150 milliards de dollars est l’équivalent de " l’évasion fiscale " du pays, non au génocide culturel tibétain ….

    Nous condamnons tous les terrorismes, à la différence de M. Sifaoui M., qui, lors d’une émission de Thierry Ardisson, en janvier/février 2003, dénonçait le terrorisme palestinien (kamikazes) à l’égard des civils israéliens, et oubliait  étrangement  ( !) celui commis par l’armée israélienne à l’égard du peuple palestinien. Ce même M. Sifaoui, dans un reportage " Complément d’enquête ", diffusé pendant la même période sur les " réseaux islamistes en France ", démontrait avoir réussi à infiltrer un groupe de terroristes islamistes, proche du GIA algérien qui s’apprêtait à commettre des attentats sur le sol français (Tour Eiffel) et à les faire arrêter en flagrant délit de déclarations, grâce à une caméra cachée. Si nous nous réjouissons des arrestations qu’il a permises, pour autant nous trouvons étrange qu’il vole au secours du régime algérien, quand celui-ci est en mauvaise posture au moment du procès Nezzar/Souaïda en juillet 2002. Journaliste algérien comme il le prétend ou journaliste des " services secrets algériens " ?

    Après la tragédie humaine du 11 septembre 2001, l’engagement social des associations dans les quartiers a été vivement critiqué par les médias. On est passé du registre de la " guerre des croisades " à celui de " l’internationale islamiste ". On nous a auscultés à la loupe, soupçonnés parfois (" proches des …). Le climat d’islamophobie était pesant et réel. Le message adressé à notre subconscient, était " Les Arabes se sont arrêtés à Poitiers en " 404 " et à New Yord en " 747 ". Sacré progrès technique, en tout cas ! Ces attentats, que nous avons condamnés sans hésitation, ont illustré la discrimination dans la justice et dans la compassion. Ainsi, les 1,5 million de morts en Irak, depuis l’embargo (selon Amnesty international), dont 500 000 enfants de moins de 5 ans, étaient ignorés … Ajoutons à cela les discriminations dont nous sommes victimes depuis tant d’années (logement, emploi, stages de formation…) que nous continuons de combattre, en agissant, en construisant par un engagement citoyen et responsable.

    L’engagement citoyen pour la justice sociale est un combat, dans lequel certains n’hésitent pas à utiliser les " armes " de la manipulation de l’opinion.

    b) Politique nationale

    Il faut réhabiliter l’Etat-Providence, social, dont le démantèlement a commencé après 1973 (1er choc pétrolier) et qui a donné naissance, aujourd’hui, à un Etat sécuritaire et à une société libérale, synonyme de plans sociaux, licenciements, chômage, fracture sociale … La véritable insécurité est l’insécurité sociale et économique (17) et non une insécurité qui serait due au caractère ethnique ou religieux (augmentation de la petite délinquance, des incivilités…), comme voulait nous le démontrer la campagne médiatique d’avant les présidentielles et législatives de 2002, orchestrée par les partis politiques de Gauche comme de Droite, en panne de projet social ! Seules les fins électoralistes priment et les Gouvernements refusent de porter la responsabilité de la mise en place de leur politique libérale ou social-libérale, responsable de tous ces maux…

    Il faut être présent aussi dans la gestion des ressources naturelles, le développement durable, le commerce équitable, la biodiversité, dans les champs de la bioéthique (clonage humain, génie génétique à des fins thérapeutiques, ADN, carte génétique, greffes, transplantations d’organes, euthanasie, avortement), dans les problèmes des farines animales, OGM, mais aussi dans les champs de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, contre la pollution (couche d’ozone, pollution marine par le pétrole, déchets chimiques…)

    De tout cela, il faut débattre. Enfin, il faut dire que le débat a déjà commencé chez les savants et intellectuels, scientifiques musulmans, il y a 14 siècles !

  2. Les réformes économiques

Les pays producteurs de pétrole se sont comportés en parfaits capitalistes, espérant faire beaucoup plus d’argent en confiant la gestion à des professionnels new yorkais ou londoniens…  Après le 1er choc pétrolier de 1973 et le second de 1979, les pays de l’OPEP avaient de l’argent alors que les pays non exportateurs de pétrole avaient besoin d’argent, en partie pour acheter le pétrole…  l’OPEP aurait pu se débrouiller pour recycler son argent elle-même et prêter directement au Tiers Monde  …

Ils auraient pu ainsi renforcer considérablement l’union des pays du Sud et élargir leur propre influence politique  … et  les emprunteurs auraient peut-être obtenus des taux d’intérêt inférieurs…le prêt à usure est sévèrement réprimandé par la loi islamique … Ainsi, la dette gérée par les Gouvernements occidentaux, les banques et leurs agents, tels le FMI et la Banque Mondiale, a encore affaibli les pays du Sud (y compris ceux membres de l’OPEP) … et a ouvert la porte à une véritable recolonisation " Susan George (18).

Le prêt à usure ou intérêts bancaires fait l’objet de multiples débats chez les intellectuels et savants musulmans qui réfléchissent, en fonction du contexte changeant et de règles islamiques concernant l’interdiction (la nécessité abolit l’interdiction, elle doit être appréciée à sa juste valeur), à la redistribution de l’intérêt aux œuvres caritatives, humanitaires, à la taxe Tobin prélevée sur les intérêts boursiers qui serait destinée aux pays surendettés du Sud … " Au taux de 0,1 %, la taxe Tobin procurerait, par an, quelques 166 milliards d’euros, deux fois plus que la somme annuelle nécessaire pour éradiquer la pauvreté extrême (du monde) en 5 ans ". (19)

Il faut donc tenter de comprendre les enjeux et les mécanismes économiques afin de mieux comprendre quelle est la véritable stratégie qui a été mise en place. Les institutions financières internationales " invisibles " n’ont pas aidé les pays en voie de développement en mettant en place des programmes d’ajustements structurels ou en les soutenant financièrement. Au contraire, elles rendent tous les pays du Sud dépendants en les poussant à privatiser les entreprises et services publics : ce qui provoque des milliers de licenciements.

C’est le nouvel ordre mondial, basé sur l’économie de marché, le profit, les placements boursiers " offensifs ". Ainsi, nous savons que 80 % des richesses mondiales sont détenues par 20 % de la population. C’est une économie qui pille les richesses des pays du Sud, affame les populations et qui accentue davantage les déséquilibres entre le Nord et le Sud. Les richesses accumulées profitent aux dictateurs du Sud et aux démocraties du Nord, comme les USA, la Grande Bretagne… Mais, cette économie ultra-libérale et capitaliste provoque aussi en Occident des milliers de licenciements ; basée sur la seule rentabilité financière, elle est favorisée par des procédures utilisées par les banques multinationales (" villages financiers " et " comptes non publiés ") qui rendent le transfert d’argent de la planète entière, invisible(20). Désormais, les décisions politiques sont soumises aux intérêts économiques.

 

Conclusion

 

Le modèle d’économie islamique n’existe pas aujourd’hui, celui que l’on connaît est un modèle dépendant, soumis à celui de la marchandisation libérale. C’est donc avec les mouvements alter-mondialistes que la Réforme s’opèrera et que l’on retrouvera nos références pour une économie à visage humain, plus sociale, plus équitable, plus écologique, au service de l’Homme et non le contraire, et basée sur l’éthique et la solidarité.

A force d’engagements, d’efforts, de concertations, nous parviendrons, s’il plaît à Dieu, à donner de la substance à notre identité musulmane européenne ou occidentale. De plus en plus d’hommes et de femmes ont conscience de la tâche, il reste que la majorité est encore silencieuse, spectatrice, passive. Ils observent et critiquent à haute voix, alors que nous avons besoin de plus d’engagements concrets et d’un peu de silence.

D’autre part, c’est dans un rapport de confiance et une relation d’égal à égal avec les différentes associations, institutions et interlocuteurs que nous arriverons à promouvoir ensemble une nouvelle conscience citoyenne, basée sur le partenariat actif. Mais, il faut cesser d’agiter l’épouvantail de la nouvelle " internationale islamiste " pour faire accréditer la thèse que se prépare une alliance contre l’Occident. Il est vrai qu’il existe des groupuscules terroristes ( Al Kaïda, GIA, …) ultra-minoritaires, fonctionnant en ordre dispersé et qui ont, parfois, des connexions avec les services secrets étrangers. Quel paradoxe ! Cessons les amalgames et les raccourcis, et cherchons ensemble des solutions afin d’œuvrer pour le Bien de tous.

Il est essentiel, aujourd’hui, d’avoir quelques repères historiques, culturels, afin d’entreprendre une analyse politique de la situation actuelle. Mais, cela ne suffit pas car il faut se tourner désormais vers les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, OMC) car c’est là que se décident les enjeux et l’avenir des pays du Sud. La Réforme est aussi à ce prix. Elle n’est pas un enfermement religieux. Il faut faire un véritable " Jihad éducatif, social " (21) ainsi qu’un " Jihad de la liberté ", celui de " l’homme libre " pour retrouver sa dignité humaine. L’Islam, religion d’amour, de paix , de justice doit rayonner sur la société, s’ouvrir sur le monde car le Coran nous enseigne à avoir une conscience universelle de justice : " Soyez juste car la justice est plus proche de Dieu. Les meilleurs d’entre vous sont les plus pieux " et nous recommande de nous instruire, de nous cultiver, de nous informer : " les plus pieux d’entre vous sont les plus savants ". Il faut se réconcilier avec sa culture, son histoire, afin de retrouver son identité plurielle.

La France a hérité de la mémoire des " Gaules ", mais aussi d’Afrique du Nord, de la civilisation ottomane, espagnole … L’islam, le judaïsme et le christianisme ont leur origine en Orient. Aux grands penseurs gréco-romains, il faut ajouter les grands philosophes, scientifiques, artistes musulmans qui ont beaucoup apporté à l’Occident ( ex-Espagne mauresque).

Le " Jihad spirituel " (22) ne suffit pas à lui seul si on désire œuvrer pour le Bien de la société, de l’humanité, du monde. C’est ensemble, juifs, chrétiens, musulmans, boudhistes, laïcs, humanistes …. que nous y parviendrons - s’il plaît à Dieu- en nous rassemblant autour de la même conscience universelle de justice. Il n’y a pas de justice sélective. Le Coran, à 9 reprises, donne raison à un juif contre un musulman … Le Coran l’affirme " Même la haine d’un peuple ne vous permet pas d’être injuste envers ce peuple, soyez juste, car la justice est plus proche de Dieu ". Takwa (conscientisme de Dieu).

Si les trois religions monothéistes viennent d’Orient, la Réforme de la pensée musulmane viendra d’Occident, en raison de son espace de liberté et des confrontations d’idées ; cela permettra aux pays du monde musulman de revoir leurs lectures de l’islam qui donnent trop souvent lieu à un Islam " fixiste " et " rigoriste ".

Je ne crois pas en une " guerre de civilisations ", celle de Samuel Huntington, car il n’y a pas un Occident uni d’un côté et un Orient solidaire, de l’autre côté. L’Occident n’est pas un bloc monolithique, il est divisé : les Etats Unis, l’Europe. De même, l’Orient est un monde musulman très divisé, le continent indo-asiatique est désuni. D’autre part, en Occident, comme dans le monde musulman asiatique, il y a un formidable mouvement de résistances pour dire non aux guerres, non à la marchandisation du monde, non à la faim dans le monde, non à l’exploitation de la misère… Je ne crois pas non plus en une " guerre des religions ", l’Islam contre l’Occident, à savoir le christianisme et le judaïsme, car il y a un éveil des communautés religieuses en Occident ainsi qu’en Orient (Indonésie, Maroc, Egypte …) qui s’opposent fermement à la guerre.

C’est dans un rapprochement des communautés religieuses, dites monothéistes, ainsi qu’avec le boudhisme et les autres religions, dans l’ouverture d’un véritable dialogue interreligieux, unis autour de valeurs communes universelles, basées sur la Justice, la tolérance, la solidarité, la fraternité humaine, que nous nous rapprocherons d’un monde de Paix.

Si nous assistons, aujourd’hui, à une véritable " guerre de civilisations ", c’est celle qui existe entre ceux qui, d’un côté, sont partisans de " un autre monde est possible ", avec plus de justice, plus d’humanisme, plus d’éthique, plus de spiritualité, plus d’écologie, pour une économie au service de l’Homme, et, de l’autre côté, ceux qui sont favorables à l’ultra libéralisme, à la marchandisation du monde, de l’être humain, de la femme, de l’environnement, les nombrilistes, les individualistes, les égocentristes, ennemis du Bien et de la Justice, les hypermatérialistes, les magnats de la finance, les ennemis du droit international.

Moustafa M.

Notes :

  1. éducateur " converti " né et travaillant en région parisienne, ancien repris de justice, Yazid Kherfi fait un travail remarquable.

(2) être musulman, c’est être " soumis " à Dieu, d’une part dans " l’Amour ", la Paix, la Justice, la Fraternité, d’autre part, dans la " crainte " de commettre le mal, l’injustice, la corruption, l’exploitation humaine. Aussi est musulman tout ce qui est soumis à l’ordre divin, naturel, cosmologique. L’Islam ou Paix, religion du juste milieu, se situe entre Amour et Crainte.

  1. La population arabe représente 1/5ème de la population musulmane du monde. Aujourd’hui, la communauté musulmane la plus importante se situe en Indonésie et en Malaisie, avec plus de 300 millions de musulmans. A noter aussi qu’il existe plusieurs millions d’arabes chrétiens, à travers le monde (Palestine, Syrie, Irak, Liban, Egypte …). Dans la communauté de foi, " oumma ", l’Islam (c’est-à-dire, l’adhésion du musulman à Dieu dans sa foi et sa pratique) transcende les nationalités. Ainsi, les musulmans sont tous égaux devant l’Islam ou les êtres humains sont tous égaux devant Dieu. Le prophète bien aimé a dit " Tous les hommes sont égaux comme les dents d’un peigne ".
  2. certains  "littéralistes " ont " bloqué leur compteur à la mort du 3ème Calife, en 656 après Jésus-Christ ". Point d’ijtihad, chez eux, synonyme d’erreurs ou d’innovations (bidha). D’autres ont une marge interprétative très réduite et considèrent tout renouveau de la lecture ou ijtihad, comme des libertés ou des modernisations inacceptables. Ils se ressemblent mais n’appartiennent pas au même courant de pensée et sont différents. Ces derniers sont moins rigides et cherchent à développer la fraternité, plutôt que le conflit.

(5) Dounia Bouzar – éducatrice depuis plus de 20 ans à Lille – auteur de " l’Islam des banlieues : les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux "

(6) pseudo spécialiste en Islam, chercheur au CNRS, ancien sympathisant d’extrême droite, ami de Rachid Kaci et Soheib Bencheir, le grand mufti de Marseille " sans mosquée ", qualifié de pratiquant et modéré … cherchez l’erreur ! … Réponse : il veut " désacraliser le Coran ! " sic Soheïb Bencheir -

(7) ils sont issus, pour la plupart, des régimes dits " démocratiques " de là-bas (Algérie, Tunisie…) qu’ils représentent !

(8) Tariq Ramadan : islamologue à l’université de Genève – philosophe et écrivain

(9) éducateur dans les banlieues nantaises depuis plus de 20 ans – fondateur de JMF – Jeunes Musulmans de France

(10) Louisa Hanoune, la seule femme leader d’un parti politique, le Parti des Travailleurs – une des pionnières dans les combats des femmes algériennes.

(11) Amazigh (ou encore tamazight) symbolise la culture berbère et se traduit par " homme libre ". C’est un appel à la résistance contre l’oppression, l’injustice, pour recouvrer ses droits et libertés (libertés de pensée, d’expression, libertés politiques, d’association, liberté de culte…) Moi, je l’appellerais le " Jihad de la liberté " à la lumière de ma foi.

(12) lire " L’Islam kabyle " de Karid Chachoua, relatif à la prétendue désislamisation des Berbères.

(13) Ce terme n’est pas dans le Coran et la Sunna. Le terme coranique est Shura : consultation, concertation. De plus, le terme " démocratie " est à consonance " occidentale ", donc négatif pour certains. Le terme exact serait donc théo-démocratie. En réalité, on parle de la même chose car l’objectif, le sens exprimés par ce mot, c’est la concertation du peuple, le pouvoir du peuple qui s’exerce, entre autres moyens, par l’élection de représentants du peuple. Mais, on n’utilise pas le même vocabulaire. Ainsi Confucius disait " le filet de pêche sert à retenir les poissons, tout comme l’intelligence humaine sert à retenir les idées et pas les mots ".

(14) Baaziz : chanteur populaire algérois, exilé ; il chante " l’Algérie d’en bas ", en arabe populaire et en français et tourne en dérision le régime de " Zorro "

(15) " Une autre voix pour l’Algérie " Louisa Hanoune

(16) lire " Dialogue islamo-chrétien " entre Tariq Ramadan et Jacques Neyrinck (pasteur), " Musulmane tout simplement " d’Asma Lamrabet, " Etre musulmane aujourd’hui " Malika Dif.

(17) lire Pierre Rimbert " la machine à punir "

(18) Susan George – politologue – Présidente de l’Observatoire de la mondialisation – Vice-Présidente d’ATTAC France

(19) extrait de " Guerres du XXIème siècle " Ignacio Ramonet

(20) " Révélations$ " Denis Robert et Ernest Backes – édition les arènes

(21) Le " Jihad social " c’est la résistance à l’oppression, à l’injustice.

Le Jihad éducatif, c’est le combat d’idées, la lutte contre la pensée unique, contre l’imposition d’une culture dominante (comme l’américanisation du monde). En Islam, le savoir est un devoir et l’ignorance est un péché : " Lis, au nom de ton Seigneur … Instruis-toi " 1er verset coranique révélé. " Les hommes sont ennemis d’eux-mêmes lorsqu’ils sont ignorants " - parole du Prophète. " Le pire ennemi de l’Homme, c’est lui-même, son ego, son ignorance " - parole de Boudha

Le " Jihad de la fraternité " c’est regarder en son frère, sa sœur en islam ou en humanité, ses qualités, plutôt que de s’arrêter à ses défauts. C’est cultiver l’état de l’esprit de l’union, plutôt que celui de la division. C’est aller à l’essentiel (union) plutôt que de s’arrêter au secondaire, aux détails qui amènent à la division.

Le " Jihad de la liberté "  c’est retrouver sa dignité humaine, son humanité, c’est aussi résister à un nouvel ordre mondial qui veut nous emprisonner.

Le Jihad, ce n’est pas la " guerre sainte ", définie par les Orientalistes et qui était, en réalité, les Croisades ou " guerres saintes ", lancées par les Chrétiens contre les Juifs et les Musulmans.

(22) Le " Jihad spirituel " c’est lutter contre ses mauvais penchants, naturels, ses désirs, ses passions, ses violences intérieures, son orgueil, son ego, contrôler ses émotions négatives. Le jihad est à l’Humanité ce que l’instinct est à l’animal. Le prophète bien aimé a dit " L’homme fort est celui qui contrôle sa colère et non celui qui terrasse son adversaire ". Confucius, il y a 2 500 ans, a dit : " De celui qui a vaincu un millier d’hommes et de celui qui s’est vaincu lui-même, en réalité ce dernier est le grand vainqueur ".

 


 

Un jour, des enfants avaient attaché un oiseau vivant, en le prenant pour cible. Ibn Umar, disciple du prophète s’exclama : " Le prophète a maudit celui qui se sert de tout être vivant pour cible ". Le prophète vit, une fois, un âne marqué sur le visage. Il désapprouva la chose et déclara : " Que Dieu maudisse celui qui l’a marqué ". Enfin, évoquons cet événement : nous étions en voyage. Nous vîmes alors un oiseau avec ses deux petits. Nous prîmes les oisillons et leur mère se mit à voler au-dessus de nos têtes. A ce moment, arriva le prophète qui déclara : "Qui a fait de la peine à cet oiseau en lui prenant ses petits ? Allez, rendez lui ses enfants ". Cela se passe au 7ème siècle, bien avant que l’on envisage en Europe des associations pour la protection des animaux. D’autre part, le professeur H. Spörri, directeur de l’institut vétérinaire et physiologique de l’université de Zurich a déclaré : " la perte de conscience de l’animal intervient immédiatement après le coup de couteau rituel ". Sir Sherrington, professeur à l’université d’Oxford et prix Nobel est parvenu à des conclusions identiques. D’autre part, en dehors du sacrifice religieux, une tradition prophétique, authentique, nous enseigne qu’un musulman qui avait trouvé un chien en train de mourir de soif, alors que l’homme remontait d’un puits pour s’abreuver, a donné à boire à l’animal et a " mérité le paradis ". Une autre tradition relative à une femme qui a enfermé son chat jusqu’à la mort " peut mériter l’enfer ". Une autre encore, celle du prophète et de ses compagnons, pourchassés de La Mecque et voulant s’installer à un endroit où se trouvait une fourmilière, ont décidé, par respect de la vie animale de se poser ailleurs.


 

Littéralistes

Ces mêmes " littéralistes ", ultra minoritaires, sont " télécommandés " par des savants ou intellectuels d’Egypte, Syrie, Arabie Saoudite… Ainsi, ils voient du " kufr " et du " haram " (illicite) partout ; bientôt, l’oxygène que l’on respire, en Occident, sera " haram ". Ils critiquent la culture américaine (ils ne sont pas les seuls !) et en même temps ils portent, sous leur grande djellaba, la contradiction à leurs pieds ! (baskets Nike, Reebok…, à moins qu’ils ne les aient achetées à  la " halale aux chaussures " !) (halal = licite). Quant à moi, je préfère les bons restos français (avec du poisson, bien sûr) aux Mac Do, et les salons de thé orientaux ou occidentaux au Coca des distributeurs. Ainsi, j’essaie de résister à l’imposition d’un modèle de culture dominante. Je fais de l’alter-mondialisation en participant à la sauvegarde de la culture française ! Ils sont tout autant en contradiction avec eux-mêmes quand ils rejettent le système qu’ils utilisent (APL, Allocations familiales, Assurance maladie…), sous prétexte que ces acquis sociaux proviennent de droits politiques, " kufr), émanant de la volonté des peuples qui ont décidé de lutter, alors même qu’il est normal qu’ils bénéficient des droits sociaux, puisqu’ils cotisent et paient leur impôts. Malgré tout, les " littéralistes ", qui sont déconnectés de la réalité, ont le sens de la foi en Dieu et le respect des parents, des personnes âgées, contrairement à certains caïds ou jeunes de quartiers.

Pourtant, nous, nous les tolérons car nous sommes une communauté de foi, unie par le cœur et divisée par l’esprit.


 

Kufr

Ces musulmans se situent dans Dar el Harb ou Dar el Kufr, alors qu’ils vivent en Occident. Ces deux concepts très répandus, qui ne sont inscrits ni dans le Coran, ni dans la Sunna, ont été élaborés par les oulémas (savants) des trois premières générations de l’Islam, afin de définir les différents " espaces " dans lesquels les musulmans vivaient. On distinguait ainsi les " espaces dits islamiques " de ceux dits " non islamiques ".

 


Nos jeunes " clones " humains

Ceux des banlieues, Rachid, Kader, Medhi, David, Assia qui ont, presque tous, la même gestuelle, la même dégaine, la même casquette " Lacoste ", le même bonnet, les mêmes baskets Nike, Adidas…le même langage " sur la vie de ma … " " hak Mekka : sur la Mecque ", " hak Coran ", "hak Mohamed " " mon bouille : mon père "…, de Paris à Marseille, de Roubaix à Strasbourg, des " Minguettes " aux " Résidences " ; ils ne sont pourtant pas des " raëliens ", mais bien des produits de la République et de la culture française, enfin de ce qu’il en reste (culture Rap, Hip-hop, loft-story…).

Ces jeunes, qui font trop souvent le " Ramadan de l’estomac " (y’a pas qu’eux ! et c’est déjà bien qu’ils le fassent), ont oublié le jeûne du cœur et de l’esprit, c’est-à-dire le jeûne spirituel et social (solidarité, fraternité, respect…). Ils ont de l’Islam l’étiquette et le nom, commettent des actes et adoptent des comportements négatifs en plein mois de ramadan.

Que faisons-nous pour leur donner leurs repères ?  

 


 

Journée de la femme

Une des responsables de la marche des femmes " Ni p…. ni soumise " affirme qu’il faut repenser l’éducation au sein de la famille et de l’école. Elle déclare : " il y a une contradiction chez les filles de banlieue qui portent le foulard, car, d’un côté elles expliquent que c’est un acte de foi et de l’autre, on observe qu’elles se sentent obligées de le porter, soumises à la pression et la provocation des jeunes, pour se protéger ". Partant de l’idée essentielle que le port du foulard ne doit faire l’objet d’aucune contrainte en Islam, la démarche entreprise au sein des familles, dans les associations ou à l’école, devra consister à partir du cœur, pour former un être spirituel et non imposer à un être ce qui devrait être dans son cœur ! Il faut donc aider les filles de banlieue qui se verraient imposer le port du foulard et aider celles qui s’en voient imposer le retrait par les laïcistes. La réflexion doit marcher dans les deux sens. Il ne faut pas répondre à l’intolérance par l’intolérance. Ce n’est pas " Sois moins musulmane pour être plus citoyenne " ou " passes à la machine à laver de la République pour mieux t’intégrer ! ". Afin d’éviter toute incohérence, il convient de repenser l’éducation à partir de références solides !


 

Matoub Lounes, chanteur algérien, fils de Chahid (son père est mort pendant la guerre d’Algérie) était le chantre de l’amazighité.

Blessé par plusieurs coups de couteau par des gendarmes près de chez lui en 86, puis, parce qu’il diffusait des tracts politiques, mitraillé en octobre 88 par un gendarme (qui a aussitôt été muté et jamais jugé), à coup de rafales de kalachnikof, alors qu’il avait les mains en l’air, et finalement assassiné le 25 juin 1998 par le GIA des " services secrets ". Ali Mecili, ancien combattant de la guerre de libération, assassiné en France en 1987, par un officier de la sécurité militaire (qui a aussitôt été renvoyé en Algérie et jamais jugé), a déclaré, peu avant sa mort " Hier, les Algériens pouvaient mourir sous les balles françaises, aujourd’hui, on meurt sous des balles algériennes, assassines … "

Le jour de l’assassinat de Matoub Lounes, M. Nahnah, islamiste, très proche du régime à l’époque, avait déclaré dans la presse :  " J’espère que vous n’enterrerez pas ce mécréant dans un cimetière musulman.  Effectivement, une lecture superficielle des textes peut laisser penser que Matoub critiquait l’Islam, mais en réalité, une lecture plus approfondie de sa poésie montre qu’il s’attaquait au panarabisme et à l’instrumentalisation de la religion à des fins personnelles ou de pouvoir, qu’il dénonçait la négation de la culture berbère et du statut de la femme, bafouée, du fait des interprétations littérales du Coran, de la Sunna et de la mentalité machiste. D’autre part, il critiquait surtout (dans le ¾ de ses chansons) le régime, ennemi de la justice, de la liberté, du droit, de la démocratie, de l’amazighité, de la femme… Il chantait aussi l’amour, le désespoir, la nostalgie, la trahison, l’espoir.

Etrange, la déclaration que celle de M. Nahnah, pour un " musulman " ! Comme quoi, l’habit ne fait pas l’imam ! En qualifiant le représentant d’une culture de " mécréant ", c’est la communauté qui est visée (12). En tout cas, moi, je ne suis pas Dieu pour juger la foi d’un être humain, mais je sais que le combat de Matoub pour le peuple algérien était digne et juste, (même s’il a pu comporter quelques erreurs " errare humanum et musulmanum est "), que Matoub était intègre et que personne ne pouvait l’acheter.

Etranges les évènements qui vont suivre l’assassinat ! Aussitôt, le 5 juillet 1998, une loi généralise l’arabisation, ce qui signifie aussi la suppression du français, en septembre 99, Bouteflika se rend dans la région de Kabylie et déclare " Tamazight (ou Amazigh) ne sera jamais langue officielle … "

Matoub disait : " Celui qui ne sait pas est un imbécile, celui qui sait et se tait, est un criminel ! " " 

 

L’arme de Matoub c’était le chant et le mandole, son " jihad ", celui de la liberté, le jihad social. En 88, sur son lit d’hôpital, tel un sous-marin qui refait surface, il sort la tête de l’eau pour faire face à ses ennemis, il écrit :

 Ni les droits de l’Homme,

Ni aucune opposition n’ont pris part à mon malheur et le peuple, comme un seul homme a osé défier la peur,

ce parti ou celui-là,

je ne me gênerai pas à les torpiller haut et bas,

sans mépris ni relâche,

pour que les geôles s’effondrent,

pour que les bourreaux sombrent,

dans la triste nuit des ombres,

Redorons nos blasons,

Retirons nos baillons,

Accueillons cette lueur présage de bonheur,

Toutes et tous pour une Algérie meilleure

et une démocratie majeure 

 


 

 

 

Bibliographie

Etre musulman européen " Tariq Ramadan – édition Tawhid

L’Islam des banlieues : les prédicateurs musulmans, nouveaux travailleurs sociaux " Dounia Bouzar – éd. Syros - la Découverte

Repris de justesse " Yazid Kherfi et Véronique Le Goaziou – éd. Syros – la Découverte

Une autre voix pour l’Algérie " Louisa Hanoune – éd. la Découverte

Le nationalisme arabe " Olivier Carré – éd. Payot

Les jeunes, l’Islam et le sexe " Farid Abdelkrim – éd. Gedif

La machine à punir " Pierre Rimbert

Musulmane tout simplement " Asma Lamrabet – éd. Tawhid

Peut-on vivre avec l’Islam ? " Tariq Ramadan et Jacques Neyrinck – éd. Favre

Etre musulmane aujourd’hui " Malika Dif – éd. Tawhid

Apport des musulmans à la civilisation " Haidar Bammate – éd. Tawhid/CIG

L’Islam kabyle " Karid Chachoua – éd. Maisonneuve et Larose –2001

Guerres du XXIème siècle " Ignacio Ramonet – édition Galilée

" Révélations$ " Denis Robert et Ernest Backes – édition les arènes