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Eclairages sur l’indépendance de l’Algérie et ses conséquences

par Moustafa M

 

 

En réalisant l’Année du Peuple algérien, nous avons voulu faire découvrir les difficultés, les complexités de la lutte anti-coloniale, pour y retrouver les origines du drame présent. Ainsi, les Résistants de l’intérieur se sont vus confisquer l’indépendance en 1962, par une caste militaire, composée pour l’essentiel de l’armée des frontières, symbolisée par le colonel Houari Boumediene et rejoints en 1962, et quelques mois avant, par plus de 200 sous-officiers de l’armée française (citation de Mohamed Harbi).

Dès l’indépendance, le régime militaire étouffe toute revendication pour asseoir sa propre légitimité. Ben Bella(1), un des membres fondateurs du FLN et président de la " Jeune République algérienne ", met en place une véritable dictature. Ainsi, Hocine Ait Ahmed, un des partisans de l’indépendance, s’oppose rapidement à cette dictature et crée, en 1963, le premier parti d’opposition, le FFS (Front des Forces Socialistes ). D’autres partis d’opposition vont voir le jour également, comme celui de Mohamed Boudiaf. En 63, Hocine Ait Ahmed organise, depuis la région de Kabylie, une véritable insurrection contre cette dictature. Mais, cela se termine par le ralliement au régime de certains chefs militaires et la mort de plusieurs centaines de civils, sans parler des actes de barbarie commis par l’armée (viols, tortures, enlèvements). Ce mouvement de contestation populaire, né en Kabylie, avait l’ambition de s’étendre à tout le territoire algérien, en s’appuyant sur le mécontentement identique dans les autres régions. Mais, le pouvoir militaire a réussi à le contenir à la Kabylie par une répression féroce : c’est le début de la politique du " diviser pour mieux régner ", vieille stratégie utilisée déjà par l’armée française, lors des conquêtes coloniales dans les différentes régions du pays.

La tâche se complique, en 1965, avec le coup d’Etat du colonel Houari Boumediene contre Ben Bella (rappelons que c’est Boumediene qui avait contribué à la mise en place de Ben Bella en 1963). Avec le souci d’accroître l’autonomie du pays, il accélère le développement industriel, renforce aussi la concentration du pouvoir, l’armée contrôle l’Etat, le FLN est le seul parti autorisé : c’est la naissance du " système ". Sous son mandat, la Sécurité militaire (police politique) a liquidé plusieurs opposants et a étouffé toute revendication populaire, ce qui lui vaudra le surnom de " Staline ". Jusque dans les années 80, le simple fait de porter sur soi quelques lettres en caractères tifinagh (alphabet berbère), vous rendait possible d’emprisonnement, sous prétexte d’une atteinte à l’unité nationale !

En 1979, le colonel Boumediene décède, Chadli, un autre colonel prend sa place. On le dit libéral et il ne fait rien d’autre que d’écraser le mouvement culturel berbère dans la région de Kabylie, en 1980. Ce mouvement, qui revendiquait le droit de pouvoir exprimer, pratiquer sa propre culture, librement et légalement, c’est-à-dire par la reconnaissance institutionnelle, a tenté d’inscrire ses revendications dans un processus démocratique. Mais, il a été violemment réprimé par l’armée, ce qui se traduisit par des centaines de morts, arrestations, tortures… L’ensemble des médias algériens, accusait la Kabylie berbérophone de " rébellion séparatiste ". Ex : El Moudjahid, rapportait que " les Kabyles avaient brûlé l’emblème national ", ce qui était faux mais permettait de justifier la répression et de diviser le pays en arabophones et berbérophones. De la même manière, une rumeur, émanantdu régime, circulait dans le pays et disait que le FFS qui encadrait ce mouvement, " avait fait des alliances avec le mouvement sioniste israélien " !

En 1982, le mouvement islamiste algérien de Moustapha Bouyali organise ses premières manifestations publiques, ce qui va donner lieu au premier maquis islamiste. (M. Bouyali était un ancien officier de l’ALN – armée de libération nationale- pendant la guerre d’Algérie et il avait rejoint l’insurrection organisée depuis la Kabylie contre le régime, en 1963). Le mouvement des femmes, rejoint par l’arrivée des anciennes " moudjahidates ", maquisardes qui avaient participé à la guerre de libération nationale et qui reprochait au régime sa légitimité historique, manifeste également contre le régime.

C’est l’absence de libertés qui a condamné la population à avoir recours à la rue, pour s’exprimer, à Sétif, Constantine, Oran, La Casbah à Alger, Tizi-Ouzou… C’est dans ce contexte (arrestations, tortures …) que l’Assemblée nationale examine un texte de loi. Il est appelé, au départ, projet du code du statut personnel. On y discutait par exemple, de " quelle longueur devait avoir le bâton servant à flageller les femmes pour se les soumettre ". Ce texte va donner lieu, en 1984, au Code de la famille, qui comprend 222 décrets : il a été rédigé par une assemblée FLN laïque, composée essentiellement d’hommes, sur des critères " religieux " (ou pseudo religieux). Il maintient la femme à l’état de sujétion. C’est un code discriminatoire, contre l’émancipation sociale de la femme et ne lui reconnaît pas son statut de citoyenne à part entière.

En 1988, en raison de la crise économique et du surendettement de l’Etat, des émeutes éclatent à Alger (plus de 500 morts) : les jeunes manifestants, qualifiés de " voyous " par le régime, pour justifier la répression, criaient : " Nous ne sommes pas des voyous, nous sommes seulement perdus "…L’Etat désigne, par la suite, les responsables du FIS, qui s’étaient illustrés lors d’un tremblement de terre, pour venir en aide aux victimes, comme médiateurs de rue, ce qui signifie que l’Etat se désengage du travail social.

C’est la naissance du multipartisme (plus de 70 partis politiques). Jusqu’en 1991, le FIS occupe une grande partie des assemblées communales (l’équivalent des conseils municipaux, en France). Les élections de 1991 donneront lieu à la victoire du FIS, nourri par l’Etat, ce qui lui vaudra le qualificatif de " FIS du FLN " (2). La suite, on la connaît : annulation du processus électoral, état de siège décrété par le général Nezzar, qui remplace Chadli par un coup d’Etat, en douceur. Mohamed Boudiaf, un des chefs historiques à l’origine du 1er novembre 1954 et exilé au Maroc depuis 1963, est rappelé en Algérie, en raison de sa légitimité historique, par les chefs de l’armée pour assurer la présidence du Haut comité d’Etat, cadeau empoisonné qu’il accepta après hésitation (présidence collégiale créée à l’initiative de l’armée suite au coup d’Etat du 11 janvier 1992, pour remplacer Chadli , le HCE dure jusqu’à janvier 94). Il est assassiné le 29 juin 92 par les clans au pouvoir. Il venait d’ouvrir un dossier sur la corruption, ce qui avait donné lieu à plusieurs arrestations, au limogeage de généraux, officiers de l’armée, et il avait notamment déclaré " les GIA sont nés dans les couloirs de la DRS " (département du Renseignement et de Sécurité qui a remplacé la célèbre SM –Sécurité Militaire). Il voulait aussi défaire le pouvoir politique du pouvoir militaire. On dit qu’il était le seul chef d’Etat en Algérie, car tous les autres sont des chefs de pouvoir.

Plus tard, une répression s’abat sur les partisans du FIS, mécontents de leur sort : les plus radicaux ont été remis en liberté après avoir été torturés et humiliés dans des camps d’internement qu’on appellera plus tard les " usines à terroristes ", tandis que les plus ouverts ont été emprisonnés, voire assassinés, ce qui a poussé un certain nombre d’entre eux à s’exiler à l’étranger. C’est le début d’une guerre civile, marquée par 200 000 morts, des massacres entiers de villageois, sous les yeux ou presque des militaires se trouvant dans les casernes, à proximité, l’assassinat d’intellectuels, artistes, journalistes, chanteurs comme Cheb Hasni, Matoub Lounès. Ce dernier, chantre de l’amazighité est assassiné le 25 juin 98. Il a probablement été victime d’un complot politique. Pour les Algériens de Kabylie, le " contrat de son exécution a été sous traité à des complices locaux par certains clans du pouvoir ". Quelques jours avant sa mort, il témoignait de son dégoût pour les partis politiques, se disant " démocrates ", indifférents devant le projet d’arabisation imposé par le Gouvernement. Ce projet est, pour lui, révélateur de l’état de trahison et de corruption de l’ensemble du personnel politique. Il déclarait : " à partir du 5 juillet, je serai la seule opposition en Algérie. Je serai le seul opposant "…Cette fois, soit ils me jetteront en prison, soit ils me tueront ". Outre la défense de la revendication culturelle, Matoub chantait aussi contre l’Etat de non droit du régime, caractérisé par la corruption et la criminalité, contre la falsification de l’Histoire. L’indépendance fut confisquée ; les dignitaires du régime se sont appropriés la mémoire de l’émir Abdel Kader (réformateur musulman, qui s’était vite opposé au colonialisme français), tout en se revendiquant du nationalisme arabe(3) ; de même, ils instrumentalisent l’Islam pour se maintenir au pouvoir.

En 1999, Bouteflika initie le projet de concorde civile.

Plus de 2 000 criminels ou supposés criminels acceptent de déposer les armes en échange de leur liberté. Ainsi, cela permet de ne pas les remettre entre les mains de la justice et de ne pas juger les clans du régime probablement complices !

Soutenu par trois partis " démocratiques ", proches des clans du pouvoir, le RND (FLN bis), le RCD(4) -Rassemblement pour la culture et la démocratie -, le MSP –mouvement social pour la paix -. D’autre part, le leader du MSP, ainsi que ceux du RCD et d’autres partis politiques avaient réclamé l’annulation du processus électoral en 91. Ces partis " démocratiques " se sont toujours présentés comme des défenseurs de la démocratie, de l’Etat de droit …(poudre aux yeux), tandis que les vrais démocrates, à savoir Louisa Hanoune (parti des travailleurs), Hocine Aït Ahmed (FFS) … réclamaient un 2ème tour car ils pensaient qu’ils pouvaient encore l’emporter et surtout, parce qu’ils s’opposaient à l’annulation antidémocratique des élections.

En avril 2001, un étudiant est assassiné par les gendarmes dans la région de Kabylie. C’est le début d’une longue insurrection populaire qui fait plus de 150 morts, dont 1/3 ont été atteints dans le dos, des centaines de blessés et d’handicapés. Ils ont opposé leur résistance physique (à mains nues) et intellectuelle à la répression menée par l’armée, en face d’eux. Personne n’a été jugé à ce jour. Qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants ? Le Ministre de l’Intérieur ? Le chef de gendarmerie ? Personne ne le sait car aucune enquête sérieuse et indépendante n’a été menée. On se pose de moins en moins la question : qui tue en Algérie ? (Les groupuscules islamistes ? braquages commis par des " bandits " qui profitent de la situation pour s’enrichir ? L’Etat-terroriste ?), on se pose plutôt la question : Qui est qui ?

Aujourd’hui, il est temps de dire stop au pouvoir militaire qui dispose à sa guise des institutions de la République pour les travestir et qui a sous sa botte un Parlement, une Justice, une armée, des médias …

Il est urgent aussi que cessent ces pratiques de divisions du peuple algérien, opposant Kabyles et Arabes, islamistes et laïques, arabophones et francophones … Ce ne sont pas des élections douteuses qui vont changer quelque chose ou améliorer le quotidien des Algériens. On sait que le bulletin de vote n’a aucune valeur en Algérie puisque les Présidents sont désignés dans des cercles fermés. Tout l’enjeu est le contrôle du pouvoir militaire d’un côté, et celui de l’administration, de l’autre.

Tout processus démocratique doit tenir compte des différentes sensibilités politiques et culturelles, que représente un peuple. Encore faut-il que les programmes politiques des partis, comprennent un véritable projet de société, accompagné d’une politique économique, sociale, éducative … ce qui signifierait la fin de la dictature militaire et le début de l’Etat de droit. L’assassinat de Abane Ramdane(5), qui représentait un espoir pour l’Algérie a été probablement un des tournants historiques dans la tragédie qui a mené le pays au chaos actuel.

 

Moustafa M.

 

 

Le fardeau de la vérité(6)

 

 

Ah, bannie ! Vérité, qui te porte en emblème

Fasse récit du sort qui advint

A qui fut inhumé en terre étrangère.

C’est son frère(7) qui l’avait appelé ;

Dans les Aïzouzen

Les siens ne le revirent pas.

D’un fil de fer ils l’ont étranglé,

Ils ne lui fermèrent pas les yeux.

Que le peuple connaisse

La cause de sa mort.

 

Voici, voici le vent,

Le malheur va croissant ;

Il visitera les villages de part en part.

A l’échafaud nous allons, rire sur nos lèvres ;

Notre nom sera aboli,

Sur lui la rivière fera couverture.

Mon esprit, qu’il t’en souvienne !

Mes yeux, vous pouvez pleurer.

Chaque jour nous sommes aux aguets,

La rage, de la montagne, a fait son gîte.

 

Les racines du cœur sont embrasées,

Le peuple bouillonne,

Le mal meurtrit nos demeures.

Ils menacent qui ose élever la voix ;

Celui qui connaît la vérité

Craint qu’un ravin l’ensevelisse.

Il n’est plus d’hommes braves,

Les anciens sont partis,

En d’autres pays ils sont proscrits.

La porte de la prison se referme.

 

 

 

 

dans " Lounès Matoub "

" Mon nom est combat "

Chants amazighs d’Algérie

traduction et présentation par Yalla Seddiki

édition La Découverte

 

Notes :

(1) Au début des années 2000, il a soutenu le dictateur irakien Saddam Hussein, chef du parti baas, qui est l’équivalent du régime militaire algérien. En 2002, il se lance dans une série d’attaques publiques contre Abane Ramdane, l’accusant d’avoir trahi la révolution et d’avoir été trop laïque et pas assez arabo islamiste. Ben Bella était partisan de Messali Hadj, qui soutenait l’idée d’une Algérie arabo-islamiste, avant l’indépendance : idéologie nationaliste, née autour du mythe sur " l’unité arabe " dont Nasser était le promoteur en Egypte. Il est à noter que les partisans de " l’école des Oulémas ", les réformateurs musulmans de Ibn Badis, qui ne cachait pas ses origines kabyles, décédé vers les années 40, défendaient aussi " l’idée d’une Algérie algérienne " (tout comme Abane Ramdane), c’est-à-dire une Algérie qui tienne compte du pluralisme culturel. Mais, l’école des réformateurs s’est alliée, avant l’indépendance, au courant nationaliste de Messali Hadj, pour des raisons purement stratégiques. C’était une erreur.

(2) Le FIS, caractérisé par l’incompétence de ses responsables n’avait pas de programme politique, économique ou social, viable. Son arrivée à l’Assemblée nationale aurait constitué un frein supplémentaire en matière de proposition de lois, d’orientations économiques, sociales … Il répétait " notre Constitution, c’est la charia ". Mais, si on grattait en profondeur, ses cadres n’avaient pas grand chose à proposer, voire rien.

(3) Nasser fut le promoteur de la doctrine du nationalisme arabe, à la tête de l’Egypte, en 1954 et après la nationalisation du canal de Suez en 1956, il rêvait d’une unité arabe, mais le Raïs échoua dans son rêve, après la déroute de la guerre israélo- arabe en 1967.

(4) La Constitution algérienne interdit la création de partis culturalistes ou religieux, ce qui n’a pas empêché l’Etat de donner son agrément au FIS et au RCD en 1989, lors de la naissance du multipartisme.

(5) Un des stratèges les plus efficaces de la guerre d’indépendance, Abane Ramdane avait tenté de fédérer, au sein du FLN, les différentes sensibilités du mouvement national, et ce, lors du Congrès de la Soumam en 1956. Attiré au Maroc dans un véritable guet-apens, il a été assassiné, le 26 décembre 1957,  par les colonels du CCE (comité de coordination et d’exécution), qui n’admettaient pas la ligne politique qu’il tentait de faire prévaloir et que l’on peut résumer en trois points essentiels : la primauté du pouvoir politique sur le pouvoir militaire, la primauté de la Résistance intérieure (plus de 390 000 Moudjahidines et ses têtes historiques) sur la Résistance extérieure (armée des frontières basée au Maroc et en Tunisie, composée de 30 à 40 000 hommes), une " Algérie algérienne " : ce qui signifie une Algérie plurielle, démocratique et laïque.

(6) Ce texte est consacré à l’assassinat de Ramdane Abane. Il est attiré dans un guet-apens au Maroc, puis assassiné par des hauts responsables du FLN en 1957.

(7) Il s’agit de Belkacem Krim. Il semble que, dans les interprétations publiques de ce texte, Lounès Matoub ait plusieurs fois remplacé la périphrase " son frère " par le nom de " Krim ", désigné comme l’instigateur principal de l’assassinat de Ramdane Abane.


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