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ALSTOM

Histoire d’une faillite vue au travers de sa branche " production d’énergie "

Contribution de Laurent Godot, suite à débat du 8 octobre 2003

 

Alors que l’Etat français se présente comme le " sauveur " de l’entreprise Alstom, le débat sur les raisons de la " déconfiture " fait apparaître l’exaspération de certains salariés face aux agissements de la coterie dirigeante.

Historique

Alsthom est né en 1928, de la réunion de la SACM (Société ALSacienne de Construction Mécanique créée en 1872) et de la CFTH (Compagnie Française THOMson Houston créée en 1890). Durant le 20ème siècle, cette société a fourni les biens d’équipement du pays, dans les domaines du transport (maritime et chemin de fer), des appareillages électriques et de la production d’énergie. Au début du 21ème siècle, elle est tellement malade qu’elle risque de disparaître.

La branche " production d’énergie "

Pendant le dernier quart du 20ème siècle, cette branche a été l’activité phare d’Alsthom avec plus de 50% de son chiffre d’affaire, en particulier à l’époque de la construction du programme électronucléaire français.

Lorsque le marché de la production d’énergie est devenu difficile, au début des années 90, c’est surtout cette branche qui a fait l’objet de décisions industrielles et financières pour le moins hasardeuses de la part de la direction générale et des actionnaires principaux, et a précipité Alsthom dans le gouffre actuel.

C’est donc essentiellement au travers de l’histoire de cette branche que peut être analysée cette " décadence ", afin d’essayer d’en tirer les enseignements.

L’histoire des fusions vue au travers de la branche " production d’énergie "

Il y eu trois fusions dans le dernier quart du 20ème siècle. La première, en 1977, fut une réussite, la seconde en 1989 n’a rien apporté et la troisième en 99 fut une catastrophe.

La fusion de 1977 intervient au début du programme électronucléaire français (commencé en 1974). Sous la pression de l’Etat français, Alsthom et CEM (Compagnie ElectroMécanique) vont fusionner pour optimiser les investissements et rationaliser l’outil industriel. Dix ans furent nécessaires pour trouver une technique commune. Durant ces années, les embauches vont bon train, les techniques se développent (apparition des automates programmables notamment). Cette période faste voit se concrétiser les partenariats avec EDF et Framatome. La Compagnie Générale d’Electricité (CGE), dont dépend Alsthom, sera d’ailleurs nationalisée entre 1982 et 1987. Au milieu des années 80, le marché de la production d’énergie devient plus difficile et la concurrence s’exacerbe.

En 1989, la direction commence a s’intéresser à l’export. Alsthom doit prendre une taille européenne et on décide alors de chercher des partenaires. GEC UK et Alsthom vont se rapprocher et fusionner. Ce regroupement franco-anglais se fera sur la base de 50% des parts à Alcatel et les 50 autres à GEC power (branche production d’énergie de GEC). Le but de cette fusion était de créer le premier constructeur européen (devant Siemens) en utilisant les synergies.

C’était sans compter les difficultés à diriger un groupe à 50/50. Les nationalisations sont discutables, l’unification technique est difficile et des réductions d’effectifs sont opérées. L’équilibre financier est de plus en plus difficile à maintenir et Alsthom commence à s’interroger sur son avenir. L. Bilger en devient le PDG au milieu des années 90. A partir de 95/96, la direction impose son discours du réengierring : l’entreprise doit recentrer son activité par corps de métier et pour cette direction les études priment. Certaines spécialités professionnelles vont être externalisées : hommes, outils, moyens vont être envoyés vers d’autres entreprises correspondant à leur corps de métiers. Se pose également le problème des transferts de technologies qui, par exemple, ont fait disparaître les chaudronniers d’Alsthom.

Avec les anglais de GEC, c’est le début de la gestion par la finance.

En 1998, c’est la fin du programme électronucléaire français mais aussi le début d’une baisse des exportations.

La fusion catastrophique de 1999

Alstom absorbe ABB power. Le but de cette fusion est d’acquérir la maîtrise d’une technique de turbine à gaz pour les centrales à cycle combiné car son bailleur, la GEC, ne veut plus renouveler les accords de licences de fabrication. Alsthom ne peut alors qu’absorber ABB dont la technique turbine à gaz s’avérera ruineuse. Une bonne partie de l’encadrement supérieur de la branche avait mis en garde la direction générale contre cette orientation.

La descente aux enfers

La vente du département turbine gaz à GEC a rapporté 0,9 milliard d’euros en 1999 alors que l’acquisition à 100% d’ABB power à coûté 1,4 Milliards d’euros en 99 et 1 Milliard d’euros en 2000.

Les turbines gaz d’ABB de différentes tailles ne fonctionnaient pas correctement, les pénalités pour retard de livraison s’élèvent à environ 4,5 Milliards d’euros cumulés en 2003. L’entreprise est alors endettée à hauteur de 5,3 Milliards d’euros pour 0,97 Milliards d’euros de fonds propres.

La trésorerie disparaît et la direction vend ce qu’elle peut, c'est-à-dire, les activités rentables. C’est ainsi qu’Alstom se sépare de CEGELEC Contracting pour 0,8 Milliard d’euros en 2001. En 2003, c’est au tour des turbines vapeurs industrielles d’être vendues au profit de Siemens et Tand D (équipements et distribution électrique) au profit d’AREVA pour 3 millards d’euros. Ce qui reste s’adresse à des marchés apoplectiques.

Son déficit d’exploitation sera d’environ 1,3 Milliard d’euros en 2003. Un " sauvetage " purement financier n’est pas forcément suffisant (sauf pour certains banquiers…).

Les causes du désastre

Si les marchés d’Alstom sont devenus très concurrentiels et de moins en moins rémunérateurs (le prix du kilowatt installé a diminué de 10% par an, ces dernières années), c’est vrai également pour ses compétiteurs.

Le désastre Alstom provient essentiellement de l’incurie, voire de l’incompétence, de la direction générale et de son équipe rapprochée depuis dix ans. D’ailleurs sur le plan structurel en France, les cursus courants des PDG passent par les conseils d’administration animés par les copains technocrates, issus de l’ENA, et favorisent l’inefficacité et l’irresponsabilité de certaines de ces directions.

En résumé, depuis 1995, l’équipe de direction a pratiqué une sorte de " fuite en avant " en faisant des " coups " parfois heureux mais, pour la plupart du temps, lamentables. Ces gens là n’ont pas été des industriels, même pas des financiers, mais une espèce de spéculateurs, bouffis de suffisance, qui se sont mis à l’abri dès qu’ils ont pu.

Ces agissements mettent en évidence de gros problèmes structurels. En France le PDG et son équipe rapprochée n’est responsable que devant le conseil d’administration. Cette coterie, souvent très solidaire, constituée assez souvent d’énarques, de polytechniciens, quelquefois ex-inspecteurs des finances, formés pour les ministères mais pas pour l’industrie, ne sont pas embauchés pour leur compétence mais souvent pour leur carnet d’adresse dans la fonction publique. Cette embauche est, de fait, une sorte de cooptation par les camarades de promotion qui n’ont rien à refuser à l’embauché puisqu’il le retrouve dans leur propre CA.

Le CA d’Alstom ne déroge pas à la règle. Il est constitué de PDG, de directeurs financiers, et de représentants des banques (en particulier BNP et Société Générale principales banques d’Alstom) qui sont des relations de ministères du PDG, L. Bilger.

Il est constitué de gens qui ont cautionné des financements et financé des opérations plutôt hasardeuses, qui ont mené Alstom à la faillite.

Conclusion

L’incompétence, l’irresponsabilité et l’absence de risques personnels dont ont fait preuve le PDG d’Alstom et son équipe, jusqu’au niveau des branches d’activités, vont très certainement coûter leur travail à une bonne partie des 120 000 employés, plus les dégâts collatéraux. Des techniques originales, un savoir-faire certain vont certainement disparaître. Seule la direction s’en sortira sans dommage, puisque par sa nature, elle ne court aucun risque personnel.

Une fois de plus, le privé, après avoir cassé ses jouets, va faire appel à l’Etat pour réparer, après avoir affirmé que celui-ci était trop pesant et présent. Cela permettra sûrement de sauver quelques banques !

Il faut " espérer " que cette faillite d’Alstom entraînera une prise de conscience et un certain nombre de décisions concernant :

  • La surveillance indépendante et le choix d’alerte pour la gestion des entreprises clé
  • L’interdiction du cumul des postes d’administrateurs.
  • L’encadrement législatif des contrats d’embauche des PDG.
  • L’abolition législative des options sur titres ou leur taxation dissuasive.

Ce sera sans doute difficile ; car c’est demander aux hommes de pouvoir de moraliser ce qui rend ce pouvoir pérenne et rémunérateur !

Laurent Godot


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