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Lutter contre le glissement vers un Etat-Providence résiduel

Construire en France et dans l’Union européenne des réformes de progres et d’efficacité

de protection sociale

par José Caudron

Se mobiliser pour que " La Santé soit un droit pour tous " tel était le débat proposé par le Comité de vigilance pour la défense des services publics de Lure et environs et le Groupe des Amis du Monde Diplomatique Nord Franche Comté, à Lure, le 29 septembre, au cours duquel 400 personnes ont pu entendre, notamment, José Caudron – intervenant au titre de la fondation Copernic, de chercheur à l’Atelier de recherches en économie de la protection sociale et enseignant en Economie de la protection sociale à l’Université Paris 1. Il nous a transmis le texte suivant qu’il a rédigé

 

Il convient d’abord de rappeler quelques aspects historiques concernant l’Etat-providence (welfare) en France. Même si des formes embryonnaires, et parcellaires, préexistaient entre les deux guerres mondiales, c’est à la Libération que s’instaure une véritable politique de couverture des risques sociaux, vieillesse, maladie, charges liées aux enfants. Son objectif fut autant d’assurer l’efficacité économique afin de mettre fin à une longue phase de difficultés(1), que d’établir les conditions d’une plus grande justice sociale, celle que réclamaient ceux qui avaient organisé la Résistance.

Pierre Laroque écrivait en 1940 à propos de la création de la Sécurité sociale en France(2) :

La formule que nous entendons appliquer est intermédiaire entre les deux formules, celle de Bismarck et celle de Beveridge ". Il soulignait ainsi l’intention de mettre en place une protection sociale aux visées universalistes, à travers un financement assuré par des cotisations assises sur le travail. La " Sécurité sociale " prenait ainsi acte des insuffisances des " assurances sociales " mises en place par les lois de 1928-1930.

La " mixité " du système français prétendait donc d’emblée résoudre l’apparente contradiction entre assurance et assistance. Ce pari a réussi lors de la phase d’expansion des Trente glorieuses, en dépit de l’opposition vive et permanente du patronat et d’une fraction de la droite française. Mais dès la fin des années 60, le compromis sur lequel il reposait va progressivement se déliter, jusqu’à être menacé d’explosion dans la période actuelle. Nous examinerons donc, dans un deuxième temps, les conséquences de la crise du financement de la protection sociale liée à la crise économique qui démarre dès 1967 et qui marque la fin d’un cycle long(3). Puis, nous jetterons un regard sur les transformations régressives du système de protection sociale fondées sur des préceptes néo-nibéraux, qui contribuent à encourager le développement de la précarité sous toutes ses formes : programmation d’une baisse massive des retraites publiques, système de santé " à plusieurs vitesses ", politiques " d’incitation au travail " par le durcissement de l’indemnisation du chômage et la réforme des minima sociaux, jusqu’à l’étape actuelle . Depuis le retour de la droite au pouvoir depuis juin 2002, tout est désormais orchestré pour que le système de protection sociale en France glisse inéluctablement vers un État-providence résiduel sur le principe du workfare à l’anglo-saxonne(4).

La mise en place et la montee en charge du systeme de protection sociale dans la phase d’essor apres la Seconde Guerre mondiale

Financer les besoins sociaux par le recours aux cotisations dans l’entreprise

Le dynamisme de l’économie française de la Libération jusqu’à la fin des années 60 se traduit par un quasi " plein-emploi " (5) qui va permettre de prendre en compte les besoins de santé dans une logique de financement bismarckienne, tout en élargissant progressivement la couverture maladie de base à la quasi-totalité de la population. Dans le même temps, la mise en place des retraites par répartition va progressivement effacer l’identité entre vieillesse et pauvreté ; un minimum vieillesse non-contributif est créé dès 1956 pour améliorer la situation de ceux qui ont insuffisamment cotisé (ou qui n’ont pas cotisé) au système de retraites par répartition mis en place en 1945. .

De manière originale, la France promeut une politique familiale dynamique qui sera totalement financée jusqu’à 1998 par des cotisations patronales dans l’entreprise. Les allocations familiales vont ainsi favoriser le baby boom qui se prolonge jusqu’au milieu des années 60 et constituer un puissant facteur de cohésion sociale et d’intégration des immigrés, dont on encourage l’entrée car la croissance est exceptionnelle, un taux de croissance annuel moyen supérieur à 5% sur la période 1948-1968. .

Mais la mise en place du système de protection sociale dut affronter des contraintes et des résistances nombreuses. Le plan Laroque souhaitait instituer, sur un principe beveridgien, une caisse unique pour l’ensemble des salariés et pour les trois risques concernés, mais les régimes professionnels qui s’étaient constitués dans l’entre-deux-guerres refusèrent de se fondre dans le régime général. Ces " régimes spéciaux ", qui existent toujours à l’heure actuelle, concernaient l’ensemble de la fonction publique, les agents des grandes entreprises nationalisées (SNCF, EDF-GDF…), les exploitants agricoles, les commerçants et les artisans… Cette complexité de la structure de la protection sociale servira plus tard d’argument à ses détracteurs pour prétendre qu’elle générerait des " inéquités ", notamment concernant les retraites.

La Sécurité sociale n’englobe pas le risque chômage. Ce risque n’est couvert jusqu’à 1958 que par l’aide sociale des municipalités qui reste typiquement discrétionnaire et stigmatisante. L’UNEDIC (Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) est alors créée et fonctionne grâce au financement des cotisations de salariés et d’employeurs. La gestion de l’UNEDIC est fondée sur un principe paritaire de cogestion entre syndicats d’employeurs et syndicats de salariés. Toutefois, les conventions signées périodiquement dans le cadre de ce paritarisme doivent obtenir l’agrément du ministère de l’Emploi.

Certes le financement des besoins sociaux largement assuré par des prélèvements opérés dans l’entreprise sera critiqué dès l’origine par le patronat, qui s’appuie sur la doctrine de l’économie libérale et préconise une protection sociale minimale financée par l’impôt(6). Mais lors des Trente glorieuses, la croissance reste vive et le consensus l’emporte sur les dissidences. En 1958, le retour du Général de Gaulle renforce même la légitimité du système de protection sociale qui était l’émanation du Conseil national de la résistance. Mais, à la fin des années 60, la phase d’essor qui s’est entamée après la Seconde Guerre mondiale s’achève et la montée de la crise systémique redonnera de la vigueur aux détracteurs d’une protection sociale forte, alors que celle-ci, globalement, avait rempli ses objectifs.

Réalités et ambiguïtés du principe d’universalité

La volonté exprimée dans le plan Laroque s’est traduite effectivement par des mesures visant l’universalité de la protection sociale. Ainsi, en 1974, les compensations entre régimes sont généralisées ; elles permettent notamment de compenser les déficits démographiques professionnels inhérents aux modifications du processus de production capitaliste. Ainsi les mineurs et les exploitants agricoles, qui avaient choisi de garder l’autonomie de leur régime de protection sociale, ne se verront maintenir l’accès aux prestations de soins et des droits à retraite qu’à travers de larges transferts opérés à partir du régime général et également, concernant les agriculteurs, par le budget de l’Etat.

Pourtant l’élargissement promis de la protection sociale à toute la population ne se concrétise que tardivement et partiellement. Ainsi les actifs non salariés ne bénéficient-ils véritablement de l’assurance maladie qu’en 1966 ; de même, ce n’est qu’en 1978 que le critère d’activité est supprimé pour l’accès aux prestations familiales. Quant à l’institution d’un revenu minimum, celle-ci attendra 1988 et encore celui-ci est-il établi dans des conditions restrictives : il comporte un volet lié à l’insertion professionnelle et les personnes de moins de 25 ans n’y sont pas éligibles. En définitive, l’universalité, promise dans le plan Laroque et transcrite dans la Constitution de la 4e République, s’est révélée sur de nombreux points particulièrement problématique(7).

D’autres particularités ont singulièrement compliqué le système de protection sociale français. Leur action rémanente ne s’est jamais départie et, dans une large mesure, elles se retourneront contre le système lui-même lorsque celui-ci sera devenu l’objet de vives critiques avec la résurgence des dogmes libéraux.

L’une de ces particularités est que la couverture maladie en France est instituée en 1945 sur un principe à deux étages, une couverture de base obligatoire et une couverture complémentaire facultative gérée très majoritairement par les groupements mutualistes. Il avait fallu en effet prendre en compte l’important développement des mutuelles entre les deux guerres, lorsque celles-ci avaient voulu pallier les insuffisances de l’assurance maladie obligatoire mise en place dans le cadre des lois sur l’assurance sociale de 1928 et 1930. Les mutuelles, qui pouvaient se prévaloir de garantir à leurs adhérents une couverture assez cohérente ont opposé une résistance très vive à l’idée d’une couverture maladie qui aurait assuré une totale gratuité des soins, ce que semble avoir souhaité le plan Laroque. Cette architecture " à deux étages " de l’assurance maladie accélérera par la suite très largement le phénomène d’inégalités devant l’accès aux soins, lorsque démarreront les politiques de maîtrise comptable des dépenses de santé (cf. infra).

Le système de santé français comporte un autre aspect spécifique, celui de s’appuyer sur la mixité entre un secteur public (notamment concernant les soins hospitaliers) et la médecine libérale, qui est très majoritaire pour les soins de ville. La liberté du choix du médecin dans le cadre d’une dépense de santé socialisée, liberté inscrite dans la Constitution, a peut-être constitué un facteur d’augmentation du coût du système, mais il en a constitué un facteur d’efficacité. Cette liberté de choix est désormais unique en Europe.

Concernant les pensions de retraite, celles-ci se composent pour les salariés du privé d’une retraite de base et d’une retraite complémentaire obligatoire, laquelle contribue de manière importante au montant total de la pension publique de retraite (en moyenne 25%). L’intention a bien sûr été de compléter la retraite de base du régime général de Sécurité sociale afin de faire accéder les retraités à une pension suffisamment substantielle, et ceci s’est concrétisé d’abord pour le personnel cadre (création de l’AGIRC en 1957) puis également concernant le personnel ouvrier (création de l’ARRCO en 1967). Cette retraite complémentaire obligatoire promouvait une forme " d’épargne forcée collective" pour les retraites à travers un système par répartition. La retraite reposait ainsi sur une solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle, financée par un prélèvement mutualisé sur la valeur ajoutée et sur les profits, dépassant le simple rapport au travail et permettant de financer des revenus socialisés non marchands(8).

La promesse d’une revenu cohérent après l’activité salariée a constitué à l’évidence un élément majeur de cohésion sociale, mais elle explique aussi, pour une part, que les gains de productivité au travail aient été particulièrement élevés en France durant les Trente glorieuses comparativement à d’autres pays d’Europe. Les retraites ont constitué un puissant instrument de régulation économique qui organisaient la promotion de tous les temps du cycle de vie en soutenant la demande effective.

Enfin, il faut rappeler aussi l’importance, au niveau du financement de la protection sociale, de la dualité entre cotisations imputées aux salariés et cotisations dites patronales. Les promoteurs de la Sécurité sociale admettaient eux-mêmes que cette dichotomie était au bout du compte fictive car c’était bien leur ensemble qu’il fallait prendre en compte par rapport au coût global du travail global. Mais au-delà, instituer des cotisations de salariés pour la maladie et la retraite signifiait qu’il s’agissait de risques " contributifs " de nature plus assurantielle. En revanche, l’imputation des allocations familiales aux cotisations d’employeurs semblait relever d’une logique " d’assistance ", qui se justifiait par le renouvellement de la force de travail, tout en permettant aux employeurs de bénéficier d’une main-d’œuvre nombreuse et en bonne santé. Avec la montée de la crise systémique, cette dichotomie entre cotisations de salariés et cotisations d’employeurs, devait favoriser les remises en cause successives, fondées sur le dogme que l’importance du financement par cotisations représenterait un " boulet " pour la compétitivité des entreprises. Deux modifications de structure du financement se dessinèrent alors. En un premier temps, la hausse relative de la part salariale, ce qui tendait évidemment à diminuer le salaire direct, puis, dans un second temps, la baisse de la part patronale au nom de la nécessité d’organiser la " désinflation compétitive ", en clair la déflation salariale. Il s’agira ainsi du refus systématique de hausser les cotisations, puis de développer une large politique d’exonérations de charges patronales censée favoriser la compétitivité des entreprises et l’emploi(9).

À l’heure des réformes ultra-libérales, cette cascade de " constructions en deux étages " de la protection sociale en France a facilité sa remise en cause qui s’est amplifiée jusqu’au processus de démantèlement actuellement orchestré par les forces libérales.

Crise et modifications de la structure du financement de la protection sociale

De 1949 à 1967, les dépenses sociales vont croître de 12% à 17,5% du PIB. Cette hausse, en définitive modérée, correspond à la montée en charge du système lui-même, concernant les retraites et le risque santé. Mais avec la crise qui démarre en 1967, l’accélération des dépenses va jouer à plein en dépit des tentatives de maîtrise. Les dépenses sociales atteignent 25,3% du PIB en 1981, culminent à 31% en 1997 et se maintiennent ensuite à la barre des 30%, en dépit des tentatives de maîtrise comptable qui pourtant limitent la réponse aux besoins sociaux. La crise économique a engendré à la fois un accroissement des dépenses sociales et une contraction des ressources qui se traduit par une crise profonde du financement(10). Cet effet de ciseaux peut se résumer simplement : moins de ressources face à des besoins accrus.

Les transformations des politiques sociales ont certes tenté de répondre aux nouveaux besoins. Certains sont de nature démographiques – ainsi l'augmentation de l'espérance de vie et la baisse de la natalité – mais, fondamentalement, ils restent la conséquence de l'explosion des déséquilibres économiques et sociaux, notamment le chômage et la précarité.

L'objectif devient, dès les années 70, de ramener le rythme de croissance des dépenses sociales à celui du PIB, mais ce vœu conforme au dogme libéral ne sera véritablement réalisé qu’à partir de 1996-1997. Même lors de la légère reprise de 1998 au printemps 2001, alors que la croissance du PIB est supérieure à 3%, la politique de maîtrise des dépenses sociales vise à atteindre à tout prix l’équilibre comptable, sans tenir compte des besoins réels, notamment concernant le système de santé(11). Cette politique de maîtrise comptable est annoncée comme incontournable en raison de la convergence vers la monnaie unique et l'obligation de maintenir le déficit public et social courant à 3% du PIB et le stock de la dette à 60% d’une année de PIB.

Le rétrécissement des ressources a plongé le système, de 1992 à 1997, dans une croissance exponentielle des déficits. La crise économique provoque et exacerbe les besoins sociaux, ceux liés au chômage notamment, tandis que, dans le même temps, les recettes sont entravées par cette montée du chômage, puisque le financement est assis pour une très large part sur la masse salariale.

La baisse de la part relative des cotisations dans le financement

Celle-ci a provenu de deux facteurs essentiels :

- l'insuffisance de la croissance de la masse salariale. Celle-ci se révèle dès les années 70, mais elle s’accélère dans la période récente. De 1990 à 1997, le taux de croissance annuel moyen de ses deux composantes, effectifs et rémunération par tête, a été nettement inférieur à celui de la décade précédente. Entre 1990 et 1997, la croissance annuelle moyenne des effectifs n’atteint que 0,3%, soit beaucoup moins que celle du PIB, 1,4%. Cette faiblesse de la masse salariale a évidemment affecté la croissance des cotisations. Plus clairement encore, la part des revenus du travail dans la valeur ajoutée a très fortement baissé en France de 1983 à 2003, pratiquement de 12 points (58% en 2002 contre 70% en 1983) (12).

- la croissance des ressources provenant des cotisations est fortement freinée, puisqu’elle n’est plus que de 0,8% en moyenne par an de 1990 à 1997. Ceci s'explique en partie par la faible croissance économique, notamment avec la récession de 1993 et la nouvelle envolée du taux de chômage qui atteint 12,7% cette même année. Toutefois, la tendance marquante de la période 1981-1997 est la forte augmentation de la part relative des cotisations de salariés, puisque celle-ci est passée de 33,1% de l'ensemble des cotisations en 1981 à 41,6% en 1997.

Le prétexte d’un argument d'un coût du travail qui serait trop élevé va servir au refus d'augmenter les cotisations, puis de justifier leur réduction au nom de la sauvegarde de l'emploi, tandis que, corrélativement, on va accroître la part des contributions et des impôts et taxes affectés, en particulier la contribution sociale généralisée (CSG) (13). La part des cotisations dans le financement de la protection sociale ne représente plus désormais que deux tiers de l'ensemble des ressources alors qu’elle dépassait encore 80% en 1980.

L’argument de " l’équité "

La réduction de la part des cotisations sociales a été légitimée par la volonté de ce qui serait une " clarification " des modes de financement : ce qui relèverait de la solidarité nationale serait financé par l'impôt et ce qui concernerait directement la solidarité professionnelle resterait financé par des cotisations assises sur les salaires. Selon cet argument, la dichotomie entre " non-contributif " et " contributif " (14), permettrait de ne pas alourdir le coût du travail et donc de favoriser la compétitivité des entreprises.

À partir du début des années 1990, le discours sur les effets pervers " inéquitables " de la protection sociale se multiplient notamment concernant les retraites(15), mais aussi l’indemnisation du chômage qui serait " désincitative " à la reprise d’emploi.

.La CSG est présentée comme une réforme du financement répondant à " l’équité " à travers deux motifs :

  • impôt plutôt que cotisation, elle est censée permettre le financement de la " solidarité nationale " sans déséquilibrer le coût du travail
  • appliquée en théorie à tous les revenus, elle appellerait à contribution de manière " équitable " les revenus du capital et les revenus du travail. Ceci est démenti par les chiffres, puisque la CSG est en réalité financée à 85% par les salariés et les revenus de remplacement (retraites, indemnités de chômage), ce qui s’explique essentiellement par le fait que les revenus financiers des entreprises échappent à la CSG, ce que nous détaillons plus loin à propos des propositions de réforme. Le développement de la CSG, a abouti à faire peser plus encore le financement et le déficit sur les ménages, qui voient à la fois augmenter leurs diverses contributions et les prestations se réduire. En définitive, tout ceci a abouti à occulter les réformes en profondeur du financement susceptibles d'assurer les ressources nécessaires à la protection sociale en développant l'emploi et en valorisant les ressources humaines.
  • la CSG est particulièrement rentable du point de vue des rentrées de ressources car elle est, comme les cotisations, prélevée directement à la source sur les salaires : un point de CSG représente actuellement environ 7 milliards d’euros. S'y ajoute depuis 1996, instaurée dans le cadre du plan Juppé, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,5% appliquée sur tous les revenus des ménages et dont le rendement est encore plus élevé puisque ce demi point représente actuellement près de 4 milliards d’euros. En 1998, Martine Aubry, ministre de l’Emploi du gouvernement de Lionel Jospin, décide de basculer une très large part des cotisations de salariés à l’assurance maladie sur la CSG(16), si bien qu’actuellement le prélèvement total CSG-CRDS aboutit à un taux de 8% sur les salaires et les revenus de remplacement. Ce sont ainsi désormais environ 66 milliards d’euros qui sont collectées, soit plus des trois-quarts des impôts et taxes affectés à la protection sociale et plus de 16% du financement total.

L’argument du coût du travail trop élevé en France

Le but va devenir de flexibiliser à la baisse le coût du travail avec comme instrument essentiel la baisse des charges sociales prélevées dans l'entreprise(17). L’argument d’un coût du travail trop élevé en France apparaît singulièrement discutable, car il s’avère désormais bas au sein de l’Union européenne concernant les qualifications " basses " et moyennes.

En 1997, le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) succède au Centre national du patronat français (CNPF). Rassemblant nombre de grosses entreprises, il va rapidement s’accaparer le discours sur une réforme de la protection sociale censée préserver la compétitivité des entreprises. Dès 1998, le MEDEF lance son projet de " refondation sociale " , susceptible selon lui d’adapter la protection sociale à la " nouvelle nature " des risques jugés inhérents au contexte économique, notamment en raison de la mondialisations des échanges.

Les sept " chantiers de refondation sociale " du MEDEF abordent ainsi la totalité des risques sociaux, retraites, santé, famille, chômage, mais aussi la formation professionnelle et la santé au travail(18). De 1997 à 2002, le président du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière, sera secondé et inspiré par Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), si bien que le lobbying des assurances privées auprès du MEDEF et des gouvernements de droite fait peu de doute, le but étant de récupérer la gestion de risques solvables actuellement couverts par le système de protection sociale.

Ainsi, le discours du MEDEF s’accorde-t-il précisément à celui de la droite libérale pour préconiser un système de protection à trois étages qui permettrait une percée sensible des mécanismes d’assurance privée :

  • une protection minimale correspondant à ce qui est défini comme dépendant de la " solidarité nationale " parce que non reconnu par la pensée dominante comme directement lié à la vie économique et à l'entreprise, la politique familiale notamment ; le financement de ces risques serait totalement assuré par l’impôt à travers une envolée massive de la CSG. Le projet du MEDEF explicité en novembre 2001 amène à conclure que cette super-CSG pourrait représenter 27% des revenus du travail ;
  • une protection obligatoire liée au travail resterait financée par cotisations, mais ceci ne concernerait plus guère à terme que des retraites de pensions publiques, dont les dispositions de 1993 et de 2003 organisent l’effondrement.  
  • une protection supplémentaire pour ceux qui s'estimeraient insuffisamment couverts et qui auraient alors recours à l'assurance privée pour la maladie et à la capitalisation pour les retraites. Ainsi, les dispositions de la loi Fillon sur les retraites (juillet 2003) permettent l’éclosion de fonds de pension " à la française " tels qu’en rêvaient les néo-libéraux et les lobbies de la finance(19) ; de la même manière, les réformes à venir de l’assurance maladie permettraient la promotion de l’assurance privée et favoriseraient les établissements hospitaliers privés par rapport à l’hôpital public(20).

 

La politique d’exonérations de charges patronales

Les politiques d'exonérations de cotisations patronales, notamment sur les bas salaires, se sont progressivement développées, la compensation par le budget de l'État ne jouant que pour une part d'entre elles. Ainsi, ou bien il s’agit une nouvelle fois de transférer sur les ménages la charge du financement de la protection sociale, ou bien de déprimer purement et simplement les recettes de la protection sociale.

. Le total des exonérations de charges sociales est ainsi passé de 14 milliards de francs en 1990 à 90 milliards de francs en 1999, puis à 19 milliards d’euros (124 milliards de francs) en 2003, si l'on additionne les exonérations appliquées aux " bas salaires " jusqu'à 1,3 fois le SMIC et celles qui découlent directement de l'application des 35 heures. Le cumul de ces deux dispositifs pouvait ainsi permettre une exonération totale des charges patronales au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) puis une exonération dégressive jusqu’à 1,8 fois le SMIC. Si le gouvernement actuel a stoppé certaines des exonérations liées aux 35 heures, en revanche, il a multiplié celles sur les bas salaires, notamment à travers les " contrats jeunes ".

Cette politique d’exonération de charges patronales encourage de nombreux effets pervers. Le plus évident est qu’elle crée un effet de " trappe à bas salaires " enfermant les salariés dans la tranche de salaire qui ouvre droit à exonération, mais elle incite également les employeurs à substituer à de nouveaux emplois qualifiés des emplois peu rémunérés.

Le durcissement de l’indemnisation du chômage

La montée du chômage a été très forte en France, assez nettement supérieure à la moyenne européenne, notamment lors de la période 1993 à 1998, où le taux de chômage officiel dépasse 10% et atteint même au plus haut 12,7% (1997). À partir de 1984, les réformes vont s’accélérer afin de diminuer les droits des chômeurs.

En 1984 est créé l’allocation spécifique de solidarité (ASS) pour les chômeurs en fin de droits qui sont sortis de l’assurance-chômage géré par l’UNEDC. L’ASS est un minimum social identique dans son montant au RMI mais où le chômeur garde un certain nombre de droits, notamment la validation des périodes pour la retraite. En 1992, l’allocation unique dégressive (AUD) limite les droits des chômeurs indemnisés par l’assurance-chômage en établissant un barème de dégressivité rapide de l’indemnisation. Cette dégressivité a disparu en 2001 avec le Pare, mais son rétablissement est programmé en raison du déficit considérable de l’UNEDIC.

Le mécanisme prévu pour le Plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) est significatif du glissement vers le workfare. Il a été en définitive agréé par le gouvernement de Lionel Jospin fin 2001, à l’issue d’un débat de plus six mois(21). Le salarié privé d'emploi signe donc désormais ce Pare qui conditionne directement l'accès aux allocations et contractualise la relation entre le bénéficiaire d'une allocation de chômage et les institutions. Un projet d'action personnalisé (Pap) définira les " capacités professionnelles " du chômeur. Il faut souligner que ce terme, sur l’injonction du MEDEF, est désormais accolé à celui de " qualification " retenu dans le Code du travail. Ceci n'est pas anodin, car parler de capacités professionnelles plutôt que de qualification permet de diriger le chômeur, le cas échéant, vers des postes différents de son métier initial et ne correspondant pas à ses aspirations, tout en lui imposant de baisser ses prétentions salariales. En cas de refus d'une embauche ou d'une formation, un système de sanctions est prévu allant de l'avertissement à la réduction, la suspension puis la suppression de l'allocation.

Ces réformes ont pénalisé en priorité les plus précaires jusqu'à les exclure de l'assurance-chômage, avec transfert des chômeurs de longue durée vers le RMI et l'assistance. Actuellement, 40% seulement des chômeurs sont indemnisés par l’assurance chômage proprement dite, si bien que seuls les deux tiers du coût du chômage sont assurés par l’UNEDIC, le reste l’étant par l’État. Les réformes ont ainsi consacré la dichotomie entre assurance et solidarité, tout en réduisant les droits à l'indemnisation. Ces mesures renforcent les effets des périodes de dépression sur le cycle économique et aggravent le dualisme des deux populations de chômeurs. Les changements réglementaires amoindrissent plus fortement les droits des chômeurs dont le travail était précaire et les salaires faibles(22).

Le RMI, qui avait été conçu comme le dernier filet de sécurité pour combler les failles du système de protection sociale, a ainsi dérivé vers une troisième composante de l'indemnisation du chômage : la dégradation du marché du travail, le chômage de longue durée, les restrictions des conditions de l'indemnisation ont fait exploser le nombre des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion.

Les reformes en cours : " incitation au travail ", regression programmée des pensions publiques de retraite, privatisation partielle de l’assurance maladie

Le parti socialiste gagne les élections de 1981 et mène une politique de relance relativement favorable au progrès social jusqu’à 1983, mais le second gouvernement Mauroy (1983) va plonger la France dans une politique dite de " désinflation compétitive " dont elle ne s’est ensuite pas départie. L’arrimage du franc au mark lors de la période précédant le traité de Maastricht jusqu’à l’entrée dans l’euro s’est ainsi traduite par une déflation salariale qui a joué autant sur les salaires directs que sur les salaires indirects.

Par la suite, le gouvernement dit de la gauche plurielle (1997-2002) a adhéré aux thèses du social-libéralisme. La baisse continue du coût du travail a été considérée comme une nécessité dans le contexte de la mondialisation économique au prétexte qu’elle resterait la meilleure arme contre le chômage, mais le chômage n’a pas baissé, sauf lors de la légère reprise économique de 1998 au printemps 2001. Cette courte embellie de la conjoncture a du coup favorisé l’idée qu’une grande partie du chômage était " volontaire " et que, si c’était le cas, les minima sociaux, et plus généralement l’ensemble de la protection sociale, permettait des revenus de remplacement " dissuasifs "et que nombre de chômeurs étaient peu " incités " à prendre ou à reprendre un emploi.

La " prime pour l'emploi " et l'incitation au travail des bénéficiaires de minima sociaux

Cette mesure a été prise le 11 janvier 2001 sur recommandation d’u, rapport du Conseil d'analyse économique établi par Jean Pisani-Ferry et présenté en décembre 2000 au Premier ministre Lionel Jospin(23).

Il s’agit d’un crédit d'impôt accordé à ceux dont le salaire ne dépasse pas 1,4 fois le SMIC, appliqué en tenant compte de la composition familiale. Neuf millions de personnes en bénéficient. La prime pour l'emploi est en moyenne de 300 euros par foyer et par an, ce qui paraît bien modeste par rapport à l'objectif " d'inciter au travail " les bénéficiaires de minima sociaux. L'adoption dans le système social et fiscal français de cette mesure d'impôt négatif a provoqué de nombreuses réactions puisque cette formule est l'apanage de pays anglo-saxons où la protection sociale est faible, en accord avec le dogme qu'elle constituerait un handicap pour l'économie(24). La crainte existe qu'à partir de cette expérience en France, se développe une forme d'impôt négatif important qui se substituerait progressivement à d'autres prestations, notamment certains minima sociaux et des prestations familiales, l'ensemble étant étroitement imbriqué désormais. Pour confirmer cette crainte, deux débats en France concernent actuellement deux autres formes d’impôt négatif. L’un serait utilisé pour la souscription d’une assurance maladie complémentaire pour les revenus peu favorisées, dans le cas où la réforme libérale l’emporterait. Quant au second, qui fait l’objet d’un rapport très récent(25), il prône l’allocation universelle, rebaptisée " dividende universel ", comme substitut intégral aux différentes prestations familiales.

Le choix de l'impôt négatif est fondé sur une conception néo-libérale du marché du travail, de la protection sociale et du fonctionnement de l'économie(26). Le Royaume-Uni paraît ici servir d'exemple en Europe, Tony Blair ayant accéléré, en 1999, les mesures de crédit d'impôt en faveur des familles à bas revenus dont l'un des membres travaille. Le taux de chômage officiel est peut-être réduit en apparence par ce dispositif(27), mais ceci est largement contrebalancé par le développement des working poors. De fait, la France n’a désormais plus rien à envier en matière de travailleurs pauvres, si l’on en juge les études récentes(28).

La déflation salariale s’est encore accélérée avec le retour de la droite au pouvoir en 2003 et le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin : nouvelles accélération d’exonérations de charges sociales (les contrats-jeunes notamment), nouvelles formes " d’incitation au travail avec le passage du revenu minimum d’insertion (RMI) au revenu minimum d’activité (RMA) (29), durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs. Les nouvelles mesures annoncées en septembre 2003 vont encore compliquer le sort des chômeurs, puisque le droit à l’ASS sera limité à deux ans, si bien que les chômeurs de longue durée tomberont encore plus rapidement dans le RMI(30). Cette politique de démantèlement de la protection sociale s’accompagne d’une politique économique qui semble dériver tout droit des reaganomics, baisse d’impôts favorisant les hauts revenus, quasi disparition de l’impôt sur la fortune, etc. au prix d’une augmentation très sensible des déficits publics.

La baisse programmée des pensions publiques de retraite

La réforme des retraites s’est faite en deux temps :

  • les dispositions imposées en 1993 par le gouvernement Balladur, Simone Veil étant ministre des affaires sociales. Ces dispositions, ne concernant que les salariés du privé, organisaient déjà la baisse du taux de remplacement (montant de la retraite publique(31) par rapport au dernier salaire) de 79% à 64% d’ici 2040.
  • les dispositions de la loi Fillon en définitive votées en juillet 2003 après deux mois de manifestations importantes dans tout le pays et alors que deux français sur trois se déclaraient hostiles à ces mesures. La loi Fillon achève de prévoir le laminage des retraites, à tel point que certaines projections font craindre qu’en 2040, un tiers des retraités ne soit au niveau de pauvreté.

Ces " réformes " en France ont joué sur trois composantes :

  • l’augmentation des périodes nécessaires pour pouvoir faire valoir une retraite à taux plein : l’ensemble des salariés du public et du privé devraient tous cotiser 40 ans en 2008, 41 ans en 2012, puis 42 ans en 2020 ;
  • l’allongement de la période de référence pour le calcul de la pension, puisque plus celle-ci est longue, plus le salaire moyen pris en compte sera bas ;
  • l’indexation des pensions de retraite sur les prix et non plus sur les salaires comme avant 1993, si bien que les retraités ne bénéficient plus des gains de productivité de l’économie(32).

La privatisation programmée du système de santé

La maîtrise comptable des dépenses de santé a été l’objet de mesures successives depuis près de vingt ans en France, notamment à travers le plan Juppé (1996), mais ces plans ont échoué. Le rationnement des soins a contribué à creuser les déficits tout en renforçant les inégalités sociales et géographiques de santé et en entraînant des dysfonctionnements profonds. Le système de santé en France est marqué par une insuffisance notoire de la prévention.

Le déficit considérable de l’assurance maladie en 2002 (6 milliards d’euros), en 2003 (près de 11 milliards probablement) et celui prévu pour 2004 (14 milliards) est lié pour une large part aux politiques qui ont tendu à réduire la part des salaires et les dépenses sociales et ralenti, dans le même temps, la croissance, l’emploi et les rentrées de cotisations. Le déficit sert désormais d’alibi aux forces libérales pour promouvoir une privatisation partielle des dépenses de soins, qui entraînerait le démantèlement du système de santé français. La volonté de réduire les dépenses publiques de santé afin de limiter les prélèvements obligatoires, dont les prélèvements sociaux, ouvrirait le " marché " de la santé aux opérateurs privés, notamment les compagnies d’assurance(33).

Cette réforme était annoncée pour l’automne 2003 par le ministre de la Santé Jean-François Mattéi, mais la proximité des élections régionales a fait reculer le gouvernement qui se fixe désormais l’échéance du printemps 2004. L’essentiel des mesures consisterait à :

  • établir un système de " paniers de soins " multiples où les soins pris en charge par l’assurance de base seraient limités(34). Une seconde catégorie de soins défini par l’État serait assurable à travers les mutuelles et les assurances privées avec des aides sous forme de crédit d’impôt pour les personnes peu favorisées financièrement. Au-delà de ces deux " paniers de soins ", seul le recours au privé permettrait d’être couvert. Cette architecture institutionnaliserait donc un système d’assurance maladie à plusieurs vitesses.
  • concernant les soins hospitaliers, un nouveau mode de tarification dit " tarification à l’activité " laisse craindre que l’on favorise les établissements privés au détriment de l’hôpital public, ce qui serait aussi une manière d’encourager un système de soins " multivitesses ". La souscription d’une assurance complémentaire privée serait nécessaire pour pouvoir accéder financièrement aux établissements privés plus coûteux, si bien que s’établirait inévitablement une sélection de la " patientèle " par l’argent.

Opposer des alternatives à la logique marchande de l’ultra-libéralisme

Le récent combat contre les dispositions de la loi Fillon sur les retraites a été révélateur de la poursuite par le Parti socialiste de la logique du social-libéralisme. Globalement, ses propositions du Parti socialiste se sont contentées d’évoquer en priorité une hausse de la CSG et un possible rétablissement de l’impôt sur la fortune, même si quelques allusions timides ont été faites à une possible contribution sur la valeur ajoutée concernant les très grosses entreprises.

Parmi les composantes des partis de la " gauche plurielle " ayant accepté de participer au gouvernement Jospin de 1997 à 2002, seul le parti communiste français a opposé des alternatives. Des propositions de réformes du financement de la protection sociale, émises depuis longue date(35), ont été réexaminées lors du débat sur les retraites et viendront renforcer la lutte contre la privatisation programmée de l’assurance maladie. Cette réforme de fond du financement permettrait de prendre en compte les besoins sociaux qui ont émergé dans la crise et de développer un véritable système de sécurité d’emploi et de formation(36) afin d’envisager véritablement un processus de sortie de crise.

Les axes essentiels de cette réforme seraient :

  • d’appliquer une cotisation additionnelle pour financer la protection sociale aux revenus financiers des entreprises (79 milliards d’euros en 2002) qui échappent pour l’instant à la contribution sociale généralisée. On peut ainsi envisager d’appliquer à ces revenus financiers un taux de contribution de 8%, ce qui apporterait près de 6,4 milliards d’euros supplémentaires au financement des besoins sociaux ;
  • de refondre le système de calcul des cotisations patronales. Actuellement le système tend à pénaliser les entreprises qui embauchent et valorisent les ressources humaines et, à l’inverse, d’avantager les entreprises qui licencient et fuient dans la croissance financière, puisqu’en proportion de leurs charges d’exploitation, les cotisations sociales apparaissent d’autant moins élevées. Cette conséquence de l’assiette salaires pour les cotisations patronales pourrait être corrigée par une contribution calculée à partir du ratio masse salariale / valeur ajoutée. On peut ainsi imaginer un puissant moyen d’incitation, puisque les entreprises où ce ratio est bas se verraient appliquer un taux de cotisation plus élevé et, qu’en contrepartie les entreprises qui contribuent à la croissance réelle par l’emploi, les salaires et la formation bénéficieraient de taux de cotisation moindres, d’autant que leur politique d’emploi, de salaires et de formation est par ailleurs source de rentrées de cotisations.
  • conjointement, de favoriser des taux de crédit bancaire bonifiés aux entreprises qui participent à la croissance réelle et créent de l’emploi, alors que le fonctionnement actuel de la BCE reste fondé sur les seuls critères monétaristes du Pacte de stabilité et de croissance. Les taux d’intérêt consentis aux entreprises seraient ainsi d’autant plus abaissés, voire jusqu’au taux zéro grâce à des subventions, que l’entreprise programme de l’emploi et de la formation dans des conditions d’efficacité.

Conclusion

La réussite du système de protection sociale en France est venue de l’appréhension globale des risques sociaux qu’il inaugurait. La couverture des risques sociaux avait été envisagée avec des articulations profondes, entre santé et retraite, entre politique familiale et santé publique, entre retraite et politique familiale, plus largement entre protection sociale et efficacité économique et cohésion sociale.

La contre-réforme libérale joue sur l’individualisme ambiant qu’elle contribue largement à renforcer en arguant que les risques sociaux auraient changé de nature. C’est une dichotomie profonde entre l’économique et le social qui constitue la justification théorique de ce néo-libéralisme, même s’il affirme vouloir " sauver ", à travers ses réformes régressives, le système de protection sociale, ainsi concernant les retraites et le système de santé. En affirmant le dogme de l’inefficience d’une couverture sociale dont le financement socialisé se fait dans l’entreprise, il s’agirait de désolidariser définitivement l’entreprise de la protection sociale. Si ce projet était achevé, ce que tente de faire le gouvernement actuel, l’Etat-providence en France ne subsisterait plus que sous une forme particulièrement résiduelle.

Mais des luttes montent face à cette contre-révolution libérale qui organise partout en Europe la régression des systèmes de protection sociale. Ainsi, la réforme des retraites et du système de santé en Allemagne ont-elles mobilisé au printemps de vives manifestations, ainsi en Italie, ainsi en Autriche également. Les forces opposées aux ravages de l’ultra-libéralisme doivent se concerter et agir en commun pour le rétablissement des conditions qui permettront à nouveau l’efficacité économique et le progrès social dans l’ensemble des pays de l’Union.

Ce texte, rédigé par José Caudron, a bénéficié des conseils et relectures de Catherine Mills, maître de conférences HC en Sciences économiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; tous deux sont, par ailleurs, co-auteurs de " Main basse sur l’assurance maladie "

Notes :

(1) Voir l’analyse des crises à partir des concepts de suraccumulation-dévalorisation du capital élaborés par Paul Boccara, dans Études sur le capitalisme monopoliste d'État, sa crise et son issue, Paris, Éditions sociales, 1973 ; P. Boccara à partir de 1971 ; Cf. égalementPaul Boccara, Études sur le capitalisme monopoliste d’État…, 1973, pp. 292-391 et, plus récemment, " Révolution informationnelle et débuts possibles d'un nouveau type de régulation dans un système mixte ouvert ", Mondes en développement, t. 20, 1992, n° 79-80, p. 125 ; Cf. C. Mills, Économie de la protection sociale, Sirey, 1994.

(2) Pierre Laroque est resté dans la mémoire collective comme le "père fondateur" de la Sécurité sociale Dès son entrée au Conseil d’État, il avait participé à la mise en place des lois sur les assurances sociales en 1930. Il prépara pendant la Seconde Guerre mondiale le plan français de Sécurité sociale dans cadre du Programme d’action de la Résistance. À la Libération, Alexandre Parodi, ministre du Travail du gouvernement provisoire, puis Ambroise Croizat, firent appel à lui pour élaborer et mettre en œuvre les grandes ordonnances de 1945 et 1946 sur la protection sociale. Pierre Laroque fut ensuite directeur général de la Sécurité sociale jusqu’à 1951.

(3) La redécouverte de l'apport de Kondratieff et des développements nouveaux sur les crises à partir de la théorie des cycles longs ont été introduits en France par P. Boccara, puis par L. Fontvieille. Cf. L. Fontvieille " Cycles Kondratieff et théorie de la régulation ", Issues, n° 4, 1979 et, plus récemment, " Les mouvements de longue durée dans la pensée économique ", Économies et de sociétés, " Développement, croissance et progrès ", Cahiers l’ISMEA, série F-33, n° 7-8, 1993. Les travaux de N. D. Kondratieff sur les cycles longs ont été publiés en français, Les grands cycles de la conjoncture, (éd. établie et présentée par Louis Fontvieille), Paris, Economica, 1992.

(4) Par opposition au welfare, le workfare conditionne le versement de prestations à une contrepartie en travail ou à un projet d’insertion. Cette philosophie du workfare implique les revenus de remplacement soient minimalisés et, concernant le chômage, qu’ils soient versés pendant une très courte durée. Le terme d’État providence résiduel est emprunté à Gösta-Esping Andersen dans une typologie des États-providence qui reste de référence (Gösta-Esping Andersen, Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne, PUF, 1999, pour la traduction française).

(5) Ce " plein-emploi " dans la définition de Beveridge, et même pour Keynes, admet un taux de chômage de l’ordre de 4% et allait de pair avec une sous-qualification massive de la main-d’œuvre d’exécution.

(6) Cf. La Sécurité sociale. Son histoire à travers les textes, tome 3, Alain Barjot directeur, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité sociale, ministère du Travail et des affaires sociales, Paris, 1997 ; Un siècle de protection sociale, actes du colloque international du Sénat (octobre 1996), Paris, La Documentation française, 2001 ; Contribution à l’Histoire financière de la Sécurité sociale, Michel Laroque directeur, Centre d’histoire de la Sécurité sociale, Paris, .La Documentation française,1999.

(7) La Constitution de la 4e République (1946) précisait que " La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement… Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ". Ce préambule fut repris dans la Constitution de la 5e République (1958).

(8) En retour, les cotisations contribuent à l’augmentation de la demande effective, par l’amélioration des conditions des travailleurs et leur renouvellement, donc à l’accroissement de la valeur ajoutée. Elles constituent de la valeur ajoutée disponible pour les travailleurs et les populations. Ce principe de mutualisation annonçait un début de dépassement possible du salariat et du marché du travail, ce qui explique aussi la vigueur qu’emploiera la pensée économique néo-libérale dans sa critique des retraites par répartition.

(9) Pour un historique des modifications de la structure du financement de la protection sociale, se référer à Catherine Mills, Économie de la protection sociale, Sirey, 1994 et à Catherine Mills (avec José Caudron), Protection sociale. Économie et politique. Débats actuels et réformes, Montchrestien, 2001.

(10) Pour l'analyse de l'articulation entre crise économique et crise du système de protection sociale, Cf. C.Mills, Économie de la protection sociale, 1994, chap. 3 et chap. 4.

(11) Cette politique a été poursuivie par la gauche au pouvoir de 1997 à 2002. Globalement la dotation globale hospitalière est restée fixe à francs constants. En outre, la loi sur les 35 heures à été appliquée au personnel hospitalier sans que les mesures d’embauche nécessaires aient été prises.

(12) Cette répartition défavorise en France les revenus du travail par rapport aux revenus du capital beaucoup plus que dans d’autres pays de l’Union européenne, puisque la moyenne de l’UE se situe à 66% pour les revenus du travail et 34% pour l’excédent brut d’exploitation des entreprises.

(13) La contribution sociale généralisée (CSG) a été créée sous le gouvernement de Michel Rocard en 1991, alors que François Mitterrand était Président de la République. La CSG était présentée comme une contribution à la protection sociale censée appeler à égalité les revenus du capital comme ceux du travail.

(14) Parmi les rapports qui ont prôné une réforme de la protection sociale au nom de " l’équité ", on citera notamment celui de Jans-Baptiste de Foucauld, Le Financement de la protection sociale, rapport remis au Premier ministre Alain Juppé, Paris, La Documentation française, 1995.

(15) On citera ici notamment le dossier de la revue Économie et Statistique, " L’avenir de nos retraites " coordonné en 1990 par Denis Kessler qui deviendra par la suite vic-président du MEDEF.

(16) La cotisation des salariés à l’assurance maladie est passée de 5,5% du salaire brut à 0,75% ; dans le même temps la CSG a été augmentée de 4,1%.

(17) Voir ainsi le rapport de Gérard Maarek, Coût du travail et emploi : une nouvelle donne, Commissariat général du Plan, Paris, La Documentation française, 1994.

(18) On peut consulter sur le site du Medef (www.medef.fr) un certain nombre de documents consacrés à la " refondation sociale " et notamment Pour une nouvelle architecture de la Sécurité sociale, qui décrit précisément l’opération de démantèlement projetée par l’organisme patronal .

(19) Les conséquences sur les retraites futures de la réforme Fillon sont analysées et critiquées dans Les retraites. Des luttes immédiates à une réforme alternative, ouvrage coordonné par Catherine Mills et Paul Boccara, avec la participation de Frédéric Boccara, José Caudron, Yves Dimicoli, Denis Durand, Fabien Maury, Benoît Monier, Alain Morin, Bruno Odent, Paris, Le Temps des cerises, coll " Espere ", 2003.

(20) Pour une analyse de la réforme de l’assurance maladie projetée par la droite au pouvoir, lire Main basse sur l’assurance maladie, Note de la Fondation Copernic, ouvrage collectif signé par José Caudron, Jean-Paul Domin, Nathalie Hiraux, Michel Maric, Catherine Mills, Sparis, Syllepse, 2003.

(21) Cf. Jacques Freyssinet, La réforme de l’indemnisation du chômage en France, mars 2000- juillet 2001, document de travail n° 02-01, IRES. ; on notera également l’appel lancé contre l’institution du Pare par Paul Boccara, Yves Dimicoli, Catherine Mills qui avait réuni plus de 1500 signataires d’universitaires, de syndicalistes, de responsables d’associations de chômeurs. Cet appel a donné lieu à un débat à la Sorbonne en septembre 2002 (Actes publiés dans la revue Issue, mai 2001).

(22) Cf. Christine Daniel et Carole Tuchszirer, L'État face aux chômeurs, Flammarion, 1999, notamment sur la réforme de 1984 créant l'allocation spécifique de solidarité (ASS) et celle de 1992 instituant l'allocation unique dégressive (AUD).

(23) ean Pisani-Ferry Conseil d'analyse économique, Plein emploi, La Documentation française, 2001 (commentaires d'Olivier Blanchard, Jean-Michel Charpin et Edmond Malinvaud).

(24) Notamment l’Earned income tax credit (EITC) aux Etats-Unis et le Working families tax credit (WFTC) au Royaume-Uni, mais l’Australie et la Nouvelle-zélande ont également adopté des mesures du même ordre.

(25) La députée Christine Boutin a remis en octobre 2003 un rapport au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin sur le " dividende universel " qui préconise la substitution d’un impôt négatif à l’ensemble des prestations familiales et aux minima sociaux sur la base de 300 euros par personne. Cette préconisation s’inspire nettement de théoriciens de l’allocation universelle, notamment Philippe van Parijs , " De la trappe au socle: l’allocation universelle contre le chômage ", Actes de la recherche en sciences sociales, Liber, supplément au n° 120, déc. 1997.

(26) Le rapport Pisany-Ferry , Plein emploi, op. cit., a suscité nombre de réactions lors de sa publication. Voir aussi sur ce débat, Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, rapport n° 1, Accès à l'emploi et protection sociale, (Jacques Delors Psdt.), mars 2001 ; Avenue du plein-emploi, (Michel Husson, Thomas Coutrot dir.), publié par l'Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens (ATTAC) aux éditions Mille et une nuits, mars 2001 ; Fondation Copernic, Pour un plein emploi de qualité. Critique du social-libéralisme, Notes de la Fondation Copernic, n°6, mars 2001.

(27) Le pourcentage de ménages pauvre au Royaume-Uni reste affligeant : 40% de ménages pauvres avant redistribution par les transferts sociaux, pratiquement 25% après transferts sociaux…

(28) Cf. Christine Lagarenne et Nadine Legendre, " Les travailleurs pauvres en France : facteurs individuels et familiaux ", Économie et Statistique, n° 335, 2000.

(29) Le revenu minimum d’activité qui devrait prochainement s’appliquer consiste à maintenir le revenu minimum d’insertion à la personne qui travaille, l’employeur n’ayant à verser pendant deux ans que le complément par rapport au salaire minimum (SMIC) concernant le salaire direct, et des charges sociales bénéficiant des exonérations d’impôt. Le coût d’un travailleur à plein temps au SMIC ne représentera ainsi qu’environ 1 000 euros par mois. Cette subvention aux employeurs doit alors s’analyser comme un impôt négatif considérable comparativement à la prime pour l’emploi.

(30) Cette disposition prise dans le cadre de la loi de finances 2004 ne représente que 150 millions d’euros d’économies pour le budget de l’État. L’allocation spécifique de solidarité (ASS) est du même montant que le revenu minimum d’insertion (RMI). Mais, comme elle est soumise à des conditions de ressources du ménage moins draconiennes, certains allocataires percevant l’ASS ne pourront percevoir le RMI ensuite. On estime que 250 000 personnes seront dans ce cas dès 2004.

(31) Ce taux de remplacement prend en compte le cumul de la retraite de base de la Sécurité sociale et la retraite complémentaire.

(32) Pour le détail et la critique de ces réformes, Cf. Les retraites. Des luttes immédiates à une réforme alternative, op. cit.

(33) Cf. Main basse sur l’assurance maladie, op. cit.

(34) Les mesures prévues concernant l’assurance maladie sont décrites dans un rapport remis en avril de cette année à Jean-François Mattéi par Jean-François Chadelat, La répartition des interventions entre les assurances maladies obligatoires et complémentaires en matière de santé (rapport mis en ligne sur le site www.sante.fr)

(35) Le principe d’une proposition d’une réforme des cotisations patronales à partir du ratio masse salariale / valeur ajoutée a été avancé par Paul Boccra dès 1977 ; Cf. ainsi " Un débat d’idées pour l’efficacité d’une politique économique nouvelle ", Économie et politique, mai 1981. On lira également Catherine Mills, L’Économie de la Sécurité sociale, tome II du Traité de Sécurité sociale (direction Yves Saint-Jours), LGDJ, 1981, Économie de la protection sociale, op.cit etCatherine Mills (avec José Caudron), Protection sociale. Économie et politique. Débats actuels et réformes, op. cit.

(36) Cf. Paul Boccara, Une sécurité d’emploi ou de formation. Pour une construction révolutionnaire de dépassement contre le chômage, Paris, Le Temps des cerises, coll. " Espere ", 2002.


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