Algérie : l’Europe doit agir ! (le Monde du 22.05.2001)
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CITOYENS européens, nous jugeons inacceptables le silence ou les atermoiements de nos gouvernements et de l’Union européenne face aux événements en Algérie. Depuis 1992, aucun effort significatif n’a été entrepris par nos représentants pour contribuer au retour à la paix civile dans ce pays et mettre fin aux violences qui ont causé la mort de dizaines de milliers de personnes. Aujourd’hui, il n’est plus possible de blanchir le régime d’Alger, ni de justifier cette indifférence criminelle par la prétendue opacité du conflit.
   Depuis plusieurs années, de nombreux témoignages, dont celui, récemment, d’un ex-officier des forces spéciales, ne laissent plus place au doute : ce sont bien les quelques généraux à la tête de l’armée qui constituent le pouvoir réel en Algérie et qui sont les principaux responsables de la « sale guerre ».
   Ce sont eux qui ont décidé, froidement, de mettre en œuvre une guerre d’éradication de toute opposition, ne reculant devant aucune des exactions constitutives de la qualification de crime contre l’humanité, selon les statuts de la future Cour pénale internationale : torture généralisée, exécutions extrajudiciaires, enlèvements, etc.
   Ce sont eux qui ont délibérément choisi de laisser impunis les crimes des membres des groupes armés islamistes (de nombreux indices semblent même indiquer que, depuis plus d’un an, ils auraient utilisé la loi sur la « concorde civile » pour reconvertir leurs agents infiltrés dans les maquis tout en liquidant certains « repentis » qui avaient refusé de devenir auxiliaires des forces de sécurité).
   Ce sont eux qui paraissent avoir opté à nouveau, comme ce fut le cas lors des émeutes d’octobre 1988 et en d’autres occasions, pour la politique du pire, dans l’espoir de surmonter la crise en leur sein provoquée par ces révélations : ils n’ont pas hésité, ces dernières semaines, à multiplier les provocations de la gendarmerie en Kabylie. Et à réprimer ensuite sauvagement, au prix de dizaines de morts, les émeutes d’une jeunesse révoltée par ces exactions. En tuant des jeunes désarmés, ils confirment leur mépris absolu pour la vie de leurs concitoyens et ils montrent qu’ils sont prêts à tout pour conserver leurs scandaleux privilèges et leurs rentes de corruption.
   Ce sont eux, enfin, qui ont façonné un système politique leur permettant de compter sur la connivence des présidents de la République, lesquels n’ont jamais condamné ni sanctionné l’emploi criminel et irresponsable des forces d e l’ordre.
   Nous ne pouvons plus nous contenter d’affirmer notre nécessaire solidarité avec les familles des victimes et les démocrates algériens qui veulent mettre à bas cette dictature sanglante pour revenir enfin à la paix civile. C’est pourquoi nous interpellons nos gouvernements et les instances compétentes de l’Union européenne : ils doivent mettre en œuvre tous les moyens de droit à leur disposition afin de faire respecter les pactes internationaux sur le respect des droits de l’homme, qu’ils ont signés en notre nom et dont l’Algérie est également signataire.
   Nous leur demandons d’agir en conformité avec la « déclaration de Barcelone » qui a institué en novembre 1995 un « partenariat euroméditerranéen ». Déclaration aux termes de laquelle tous les Etats signataires se sont engagés à « respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, ainsi que garantir l’exercice effectif et légitime de ces droits et libertés, y compris la liberté d’expression, la liberté d’association à des fins pacifiques et la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
   Sans préjuger d’autres initiatives, nous leur demandons :
*de conditionner l’approbation de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, laquelle serait imminente, au respect des droits de l’homme et à l’établissement de l’Etat de droit par l’Algérie et ses forces de sécurité, à la sanction, selon les normes du droit international, des violations dont celles-ci et les groupes armés islamistes se sont rendus responsables : cela implique, notamment, que l’Algérie accepte enfin les enquêtes des rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la torture et les disparitions ;
*de mettre en œuvre sans délais les mécanismes de compétence universelle qui permettent aux Etats membres de l’Union d’interpeller et de juger devant leurs propres juridictions les militaires algériens présents sur leur territoire, soupçonnés d’être responsables ou complices de graves violations des droits de l’homme. Dans cette perspective, nous dénonçons l’attitude du gouvernement français qui a permis que le général-major en retraite Khaled Nezzar soit « exfiltré » le 25 avril dernier pour échapper aux plaintes déposées contre lui à Paris le même jour par des victimes de tortures. Et nous condamnons fermement le fait que les identités des plaignants (dont l’anonymat avait été publiquement préservé, pour d’évidentes raisons de sécurité) aient été aussitôt communiquées  -très probablement par la police française- aux autorités algériennes qui ont exercé des pressions et des intimidations sur leurs familles en Algérie ;
* d’intervenir auprès des Nations unies pour obtenir la mise en place d’un tribunal pénal international ad hoc afin de juger les responsables, quel qu’ils soient, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Algérie.
 

Premiers signataires :
      Allemagne :
      Daniel Cohn-Bendit (député        européen), Werner Ruf (professeur de   science politique à l’université de Kassel)
        Belgique :
       Luc Carton (philosophe), Herman     de Ley (historien de la philosophie,   université de Gand), François Houtart (sociologue, directeur du Centre Tricontinental), Jeanne Kervyn (sociologue)
       Espagne :
       Juan Goytisolo (écrivain), Gema Martin-Munoz (professeur à l’université autonome de Madrid), José Maria Ridao (écrivain et diplomate)
France :
Etienne Balibar (philosophe, université Paris-X), Pierre Bourdieu (sociologue, professeur au Collège de France), François Burgat (politologue, CNRS), Hélène Glautre (députée européenne), Pierre Vidal-Naquet (historien)
Italie :
Anna Bozzo (historienne, université Rome-III), Louis Godart (Académia dei Lincei), Ferdinando Imposimato (président honoraire adjoint de la Cour suprême de cassaion), Igor Man (éditorialiste de « la stampa », Predrag Matvejevic (écrivain, président du conseil scientifique de la Fondation Laboratoire Méditerranée)
Royaume-Uni :
William Byrd (économiste), George Joffé (professeur à l’université de Londres), Claire Spencer (politologue, université de Londres)
Suède :
Ake Sander (professeur d’études religieuses, université de Göteborg)
Suisse :
Marie-Claire Caloz-Tschopp (philosophe, université de Genève)

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