Une étincelle a mis le feu à la plaine : l’assassinat du jeune Mohamed Guermah dans les locaux de la Gendarmerie de Beni-Douala était un assassinat de trop ; les divisions du peuple, alimentées par les faux débats entre éradicateurs et réconciliateurs, pro et anti-islamistes, francophones et arabophones, et les dernières tentatives pour ethniciser les revendications berbères n’ont plus suffi pour maintenir la chape de plomb sur les aspirations populaires. La volonté de manifester son opinion contre la « hogra » du « pouvoir assassin » (ce mépris de caste, mère de toutes les injustices) a été la plus forte.
La liberté retrouvée de manifester et de s ‘organiser, le peuple algérien au cours de ce printemps sanglant, la doit pour partie au combat difficile mené par une presse résistante qui refuse d’être aux ordres. Malgré toutes les manigances (procès, intimidations, difficultés d’accès au papier, aux imprimeries), le pouvoir n’a pas réussi à l’étouffer. Il tente aujourd’hui, au moment même où le peuple se lève, de la bâillonner, d’organiser la banqueroute des titres indépendants. Cette conjonction entre liberté de presse et d’opinion n’est pas anodine.
Soutenir la liberté d’opinion et de manifestation et marquer notre solidarité vis-à-vis de la liberté de la presse font partie du même combat pour faire advenir un autre monde.
« Boutef » et sa clique entendent mettre en place un arsenal
répressif en instaurant l’autocensure. Ils prévoient des
peines d’emprisonnement de 2 mois à 2 ans assorties de lourdes amendes
contre les publications de toute nature qui porteraient « outrage
qui à l’armée, qui aux représentants de l’ordre public,
qui au Président de la République. Déjà adoptées
par les députés dont la seule liberté est celle d’avoir
le petit doigt sur la couture du pantalon, ces lois scélérates
en discussion visent à organiser un harcèlement judiciaire
meurtrier pour les libertés.
Elles tentent d’asphyxier la voix des journalistes, de titres comme
« Liberté » » qui tirent à 150 000 exemplaires
dans lequel Dilem, ce caricaturiste adulé par la jeunesse, exerce
son talent en brocardant la nomenklatura algérienne qui ne le supporte
plus. Irrévérencieux, insolent, drôle, à l’humour
caustique et dévastateur, Dilem est le symbole du courage de toute
la jeunesse déshéritée d’Algérie. Qu’il ose
représenter le chef de l’Etat, « Boutef » en nain aux
oreilles d’âne, en schtroumpf avec des couettes, les hommes politiques,
les religieux, les généraux en impuissants pleutres et véreux,
c’en est trop pour le pouvoir. Mais, pour toute une génération
, c’est une bouffée d’oxygène chaque jour.
Résister au Nord, dans les pays occidentaux, à la
dictature étouffante des marchés qui précarise les
journalistes, réduisant nombre d’entre eux au rôle de pisse-copie
sur commandes, afin de rédiger des articles
de complaisance (2), s’opposer à la vampirisation des consciences
par la commercialisation médiatique qui « ruisselle de bons
sentiments » pour «
nous faire tout digérer » (3) en mettant en scène
l’insignifiance du spectacle du monde, en le transformant en un objet virtuel
de pur divertissement incapable d’interpeller les consciences des citoyens,
participent du même combat que celui de s’opposer dans les pays du
Sud, où la dictature larvée ou explicite rime avec toutes
les censures.
Gérard Deneux.
(1) « Le matin
» quotidien algérien cité par Le Monde
(2) voir «
le journalisme et l’économie » Actes de la Recherche en sciences
sociales n° 131-132
(3) citations
de Serge Halimi « Manière de voir » n° 57 – «
La culture, les élites et le peuple ».