Echos de la conférence de René Passet « Eloge de la mondialisation ! »
Par Elsie Pimmel
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La mondialisation, terme ambigu, recouvre deux significations distinctes :

la première est largement médiatisée et relayée partout dans le monde et,
 surtout, dans les pays industrialisés. Elle définit la mondialisation par
 l’ouverture du monde à la libre circulation des capitaux et accessoirement
 des marchandises. On emploie, pour la caractériser, les termes d’(ultra-)
ou de (néo-)libéralisme. Davos en est la piètre illustration : représentants
 de Gouvernements et d’organismes internationaux barricadés dans une
 forteresse, protégée par des forces de l’ordre en surnombre.

La seconde s’appuie sur la définition du mondialisme qui vise à réunifier
 la communauté humaine. Porto Alegre en est le symbole :
 rassemblement festif de plusieurs milliers de personnes.

Un simple constat suffira à révéler l’influence prédominante du libéralisme.
En dix ans, le flux des capitaux a doublé à travers le monde, tandis que le
flux des marchandises n’augmentait que de 23 % et que le « capital humain »
 restait obstinément bloqué aux frontières (ouvertes seulement
 pour quelques privilégiés). En un demi-siècle, le produit mondial a été
multiplié par six alors que, parallèlement, les écarts de revenus et de
 richesse croissaient sans cesse, passant de 30/1 en 1960 à 78/1 en l’an 2000.

Voulons-nous d’un monde qui légitime la logique de prédation !
Pourtant, nous aurions les moyens de faire autrement. L’ouvrier comme le paysan ont vu leur travail décroître et devenir moins pénible grâce à l’automatisation et à la mécanisation ; parallèlement, l’augmentation de la productivité a permis de réunir toutes les conditions pour pouvoir produire sainement et avoir un partage du travail équitable. Mais, tous ces efforts sont réduits en miettes par la course effrénée au profit, les progrès techniques n’amènent que détresse, chômage, problèmes écologiques…

Nous connaissions déjà le chômage de récession (dû à la crise de 1929), le chômage de modernisation (dû aux restructurations industrielles au début des années 1980), maintenant nous découvrons le chômage de prospérité.  L’usine de Vilvoorde est fermée pour manque de rentabilité alors qu’elle possédait les infrastructures industrielles les plus modernes. Des licenciements ont eu lieu à Michelin, ils sont annoncés chez Mark and Spencer et chez Danone ; dans le même temps, ces sociétés réalisent des bénéfices records. Le seul et unique but poursuivi à travers ces licenciements est l’accroissement des revenus financiers destinés aux actionnaires.

En effet, deux logiques s’affrontent, soit nous admettons que la machine remplace le travail : le gain de productivité est alors redistribué sous la forme de réduction du temps de travail, soit nous faisons en sorte que la machine remplace les travailleurs : le capital financier s’attribue alors la totalité du gain de productivité.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Sous la présidence Reagan, les règles douanières au niveau financier disparaissent et permettent la libre circulation des capitaux, l’ouverture du monde aux possibilités d’investissement. Or, avant cette politique, le capital dans les pays industrialisés était un facteur surabondant, favorisant la négociation et la redistribution de l’argent à tous les échelons de la société. Depuis, il est devenu une denrée rare donc recherchée. Il en découle une perte de souveraineté de l’Etat vis-à-vis de la finance et sa mise sous tutelle par des institutions internationales (OMC, OCDE, FMI) subordonnée à des groupes d’intérêts privés.

Cette déréglementation amène la mise en place d’une bulle spéculative qui a comme conséquence la fin du « cercle vertueux », principe énoncé par l’économiste Keynes qui exprime le fait que l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs leur permet d’acheter les produits que leur vend leur employeur (cas des usines Ford). Effectivement, aucune ligne d’accord ne peut être trouvée entre les actionnaires et le reste de la société car l’actionnariat vise à l’accroissement de ses dividendes par le biais de la diminution conjointe des salaires et des effectifs. Pour les mêmes raisons, la relance keynésienne est impossible dans ce contexte car elle aboutirait à une valorisation des salaires qui entraînerait une augmentation de l’inflation et amoindrirait par contre coup la valeur des sommes spéculées.  Pour éviter toute contestation et tout dérapage des prix, un niveau de chômage de 8 % est même jugé acceptable.
 

La boucle est bouclée, le vice a remplacé la vertu.

Aujourd’hui, les investisseurs privés et les fonds de pension exigent des taux de rendement de 10 % à 15 % par an, ils dénoncent les sociétés qui investissent sur leurs bénéfices, cette stratégie leur faisant perdre de l’argent.

Cette vision à court terme renforce la course à la rentabilité et au productivisme et amène un nivellement par le bas : démantèlement des protections sociales, chômage, bas salaires…Elle affaiblit le pouvoir des Etats, creuse les déficits budgétaires (plus de chômeurs, moins de personnes imposées). Par extension, cette course au profit immédiat favorise la marchandisation de toute la société : brevetage du vivant, privatisation de pans entiers de l’Etat, même des domaines dits sensibles, comme l’éducation et la santé, mise en place de fonds de pension en remplacement des systèmes de solidarité traditionnels.

Les fonds d’investissement privés possèdent à eux seuls, une réserve de 30 000 milliards de dollars, plus que le produit mondial (flux de capitaux circulant dans le monde en une année), estimé à 25 000 milliards de dollars ; comment un Etat ou un groupe d’Etats pourrait-il rivaliser avec une telle masse monétaire ? Ainsi, pendant la dernière décennie, il en a résulté un nombre croissant de crises financières à travers le monde, avec, comme conséquences une aggravation des inégalités Nord-Sud et une fragilisation des économies. Par exemple, la fuite des capitaux (116 milliards de dollars sortis en quelques jours) qui frappa en 1996-1997 l’Asie du Sud-Est, provoqua de nombreuses faillites et conduisit à l’émergence de 23 millions de chômeurs dans cette zone.

De plus, le capital financier, libre de toute contrainte, investit les lieux où il fructifie le mieux, c’est-à-dire essentiellement la triade : Etats-Unis, Europe, Japon et laisse sans ressources et sans développement des zones géographiques entières. Cette stratégie amplifie les tensions et favorise l’irruption de nouveaux conflits dans le monde.
 

Laisserons-nous la finance gouverner le monde, un facteur d’inégalité et d’instabilité prendre le pas sur l’humanité ?

Quand, par pur profit, les produits les meilleurs marchés triomphent sans souci de qualité et de respect de l’environnement, voire de respect humain tout simplement, pouvons-nous encore employer le terme de rationalité pour justifier une telle politique ? La rationalité ne consisterait-elle pas à mettre l’Homme au cœur de l’économie,  définie par l’activité de transformation du monde pour satisfaire les besoins humains. Ne faudrait-il pas rétablir des normes sociales, environnementales au niveau mondial, revenir à un contrôle des changes ? Appliquer ce programme passe déjà par la suppression des paradis fiscaux et des trafics en tous genres et cela sera possible grâce à une vigilance accrue des citoyens.

L’Histoire n’est pas finie ; l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement) n’a-t-il pas été annulé grâce à la pression de l’opinion publique ? Combien de Porto Alegre faudra-t-il pour construire une autre mondialisation…
 

Elsie Pimmel.
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