De l’autosuffisance alimentaire aux dégâts du productivisme (1)
Les réponses à ces questions, il convient de les débusquer -afin d’éviter tout simplisme- dans les faits historiques, non seulement en invoquant l’infrastructure économique capitaliste mais, surtout, en soulignant la nature des décisions politiques et le poids des forces sociales qui, par les valeurs et les intérêts qu’elles défendaient au cours du processus historique, ont concouru à la mise en œuvre d’un mode de production et de consommation qui, dans sa forme actuelle, est devenu insupportable. Autrement dit, pour éclairer les risques alimentaires auxquels nous sommes confrontés et la malbouffe que l’on nous somme d’ingurgiter (2), avec force matraquage publicitaire, il faut cerner les « raisons » de l’enchaînement (qui, a priori, n’avait rien d’irrémédiable) conduisant de l’époque de la reconstruction et du nécessaire développement de la productivité pour satisfaire les besoins alimentaires de la France et de l’Europe, à la situation d’aujourd’hui, celle de l’hégémonie des transnationales agroalimentaires imposant un système productiviste au Nord, préjudiciable à l’environnement et aux consommateurs, et délaissant le Sud dont les populations sont confrontées à la malnutrition, à la famine ainsi qu’à la résurgence d’épidémies et à « l’explosion » du Sida en Afrique.
La Reconstruction : autosuffisance alimentaire, aspiration au bien-être et productivité
En 1946. La France agricole est caractérisée par l’importance des petites exploitations ; les fermes sont peu mécanisées, les surfaces sont non remembrées et l’adduction d’eau reste à entreprendre. De janvier 46 à février 1949, les Français, même s’ils espèrent en des lendemains meilleurs, souffrent : les cartes de rationnement symbolisent cette période. La reconstruction est d’abord industrielle ; il faudra attendre 1957 pour que s’opère un tournant : avec le Marché Commun, les discussions dans l’Europe des Six affirment la nécessité légitime de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Mais, dans le cadre des négociations qui se déroulent avec les Etats-Unis, promoteurs du Plan Marshall d’aides à l’Europe, une concession majeure leur est faite : les dirigeants français et européens cèdent aux pressions américaines, permettent l’entrée massive en Europe du maïs, et ensuite, du soja qui en est le complément, et ce, sans droits de douane. Les producteurs agricoles vont se « précipiter » sur ces plantes « miracles ».
Cette décision s’explique
en partie par la conception des moyens que l’on entend mettre en œuvre pour
parvenir rapidement à l’autosuffisance alimentaire. S’il y a bien sûr,
les idées de progrès, de transformation de la nature indéfiniment
adaptable aux visées de la production de masse qui prédominent
sans contestation à cette période, il y a surtout une conception
de l’industrialisation à grande échelle de l’agriculture. Ce modèle
provient à la fois des références aux systèmes mis
en place aux USA et en URSS. Planisme, planification, intensification de la
production renvoient à la conception prégnante de la modernisation
dont la figure emblématique est le processus d’industrialisation à
outrance, les références tayloriennes et puis fordistes… Cet arrière-plan
idéologique explique notamment que la politique céréalière
devienne très vite aberrante : ainsi, en est-il de la place exorbitante
prise par l’importation et la culture du soja et du maïs et d’un mode de
conservation, l’ensilage de produits pour animaux (fermentation du fourrage
vert herbé en silos étanches). Il en est de même pour l’intensification
du recours à l’élevage «
hors sol » (3). Toutefois, « l’industrialisation » de
l’agriculture n’aurait pas pu se mettre en place aussi aisément si elle
n’avait pas rencontré l’assentiment tacite ou explicite de forces sociales
dans le milieu agricole.
La Jeunesse Agricole
Chrétienne (JAC), organisation qui se développe dans les années
50, se veut un instrument d’émancipation des jeunes paysans. Elle est
le signe dans ce milieu, à la fois de la résistance aux courants
communistes et socialistes très influents après la Libération,
et de la volonté de se détacher du clergé réactionnaire,
vichyste et des potentats du milieu, notables, propriétaires fonciers,
marchands de bestiaux et margoulins. Dans ce monde stigmatisé comme «
retardé », s’affirme, chez ces jeunes, l’ambition de ne plus être
considérés comme des « ploucs », des « culs-terreux
», le besoin de reconnaissance de leur dignité, d’être des
agriculteurs participant au processus de reconstruction et de modernisation
de la France. La revendication de parité de revenus avec les ouvriers
en fait foi. L’idéal consiste à se faire construire à côté
de la ferme familiale, où l’on cohabitait avec les bestiaux, une maison
individuelle avec sa cuisine en formica. Pour se moderniser et alléger
la lourdeur des tâches manuelles, la nouvelle génération
va rencontrer la possibilité de financements que lui offre le Marché
Commun et le syndicalisme agricole « réellement existant ».
La FNSEA créée
en 1946, permet aux vieux caciques de Vichy,
provenant de la corporation paysanne pétainiste, de se
reconvertir. Elle va très vite adapter son discours pour
prendre en compte l’aspiration d’une minorité active de
paysans, tout en maintenant le mythe corporatiste de leur
unité d’intérêts. Un système d’organisation
verticale, de
syndicat qui se veut unique, auquel l’adhésion est
quasi obligatoire, va se mettre en place très rapidement.
Il passe très vite sous le contrôle étroit des plus
riches
agriculteurs , en particulier des gros céréaliers.
Il se transforme, avec la complicité des différents
Gouvernements, en un groupe de pression institutionnalisé,
qui cogère avec l’appareil d’Etat la politique agricole
(4).
Projets de loi, règlements, jusqu’à leur application dans
chaque département par l’intermédiaire des Chambres
d’agriculture et du Crédit agricole, sont élaborés conjointement.
Il s’agit de faire bénéficier le monde agricole d’aides
à
l’installation, d’obtention de droits à produire, de prêts
du Crédit Agricole, de protection sociale et d’assurer la
maîtrise foncière au profit des « plus entreprenants
».
Ainsi, la SAFER,
organisme paritaire (fonctionnaires-paysans) près des Chambres d’agriculture,
possède la mainmise sur la rétrocession des terres. En rendant
des services obligés aux paysans, la FNSEA parvient à
assurer son hégémonie même si le MODEF(5)
(dans les régions de montagne, de culture familiale et dans les secteurs
de résistance à l’occupation allemande) conserve quelques îlots
de résistance dus à l’influence communiste. Après avoir
été les chantres de la modernisation dont les mécanismes
renvoient au triptyque aide-endettement-exode rural pour le plus grand nombre
de fermiers, les dirigeants de la FNSEA deviendront à la fin des années
70, les « grands prêtres du productivisme ».
Même s’il convient de noter la fermeté des résistances qui se sont déployées très tôt (6), ces forces sociales furent quasi déterminantes dans la mise en œuvre de la politique agricole.
1960 – 1978 . La logique de la productivité et ses conséquences.
Les objectifs poursuivis
et le modèle de référence industriel vont se conjuguer
sous forme d’une logique et de caractéristiques de production, conduisant
irrémédiablement à la surproduction et à l’engrenage
productiviste. Les paysans qui souhaiteront s’en abstraire rencontreront
les plus grandes difficultés (7).
Atteindre l’autonomie alimentaire
de l’Europe, fournir des denrées alimentaires au plus bas prix, protéger
de la concurrence du marché mondial un certain nombre de produits agricoles
(céréales, sucre, lait, viande, vins,), assurer aux agriculteurs
la parité de revenus avec les citadins salariés, tels sont les
objectifs proclamés par les lois d’orientation agricole de 1960, 1962.
Se constitue dès lors un puissant lobby agricole composé, pour
l’essentiel, de gros céréaliers et betteraviers qui obtiennent
notamment des prix garantis rémunérateurs et des exportations
assurées à des prix inférieurs, mais compensés par
des primes. Cette Politique Agricole Commune qui voit le jour avec le Marché
Commun opère, dans le cadre du modèle qu’est « l’organisation
» prétendument scientifique du travail, un choix de moyens visant
à l’efficacité à court terme.
Ainsi, en est-il de
la spécialisation de la production, contraire à l’autonomie
procurée par la polyculture. Et ce ne sont pas seulement les fermes
qui recourent à la spécialisation, mais aussi les régions
elles-mêmes. Les paysans deviennent éleveurs de porcs, de volailles,
producteurs de lait, voire spécialisés qui, dans la production
de poussins d’un jour, qui, dans les poulettes démarrées ou dans
les poules pondeuses. S’incruste ainsi dans le paysage une agriculture
intensive qui recourt aux tracteurs toujours plus puissants et plus chers,
accessoires et transports de produits, consomme de plus en plus d’énergie
fossile non renouvelable. Ce modèle industriel de productivité
possède dans le monde agricole deux grandes caractéristiques dont
les conséquences s’avèreront, avec le temps, dramatiques et met
en œuvre une logique perverse : l’engrenage productiviste.
La course à la rentabilité
incite à la production d’engins de plus en plus imposants , impliquant
une adaptation des champs aux machines, afin que celles-ci puissent circuler
sans obstacles. Les parcelles seront donc aplanies, remembrées, les haies
arasées. Le savoir-faire ancestral sera nié, les fossés
comblés, l’hydraulique sera ignorée. Jusqu’à provoquer
l’érosion des sols, la diminution de la couche d’humus, la réduction
de la flore et de la faune. L’écosystème en sera affecté.
Pour des raisons de rendement, la spécialisation dans l’élevage des animaux aura également des conséquences qui ne seront pas immédiatement perceptibles : ainsi en est-il de la quasi disparition des races rustiques qui, adaptées aux micro climats des « pays », aux sols des territoires où elles étaient implantées, ont été délaissées au profit des races spécialisées, sélectionnées génétiquement. Pour améliorer la production laitière des vaches on a eu recours à celles qui étaient les plus adaptées à la traite intensive, à celles dont le vêlage était facilité. Résultat : les vaches laitières qui, en agriculture paysanne traditionnelle, vivent plus de 10 ans sont aujourd’hui une minorité qui n’ont rien à envier à leurs consoeurs, les vaches hyperproductives qui vivent en moyenne moins de 5 ans.
Bien évidemment,
les caractéristiques d’un tel modèle de production ont pu se déployer
grâce aux incitations sous forme de prêts consentis par le Crédit
agricole et les firmes agroalimentaires.
Cette modernisation détermine
un engrenage dont la logique perverse peut se définir sous forme de cycles
répétitifs : investissements, spécialisation, endettement,
concentration-restructuration, prolétarisation pour les paysans ruinés,
ou qui n’arrivent plus à suivre, nouveaux investissements pour ceux qui
s’en sortent… En effet, la rentabilisation des bâtiments qu’il faut construire,
des machines qu’il faut acquérir, conduit inéluctablement à
produire plus pour rembourser ses dettes, pour s’étendre en accaparant
les terres des voisins, à développer des ateliers hors-sol, des
élevages intégrés. D’autant que les décisions poussent
en ce sens : l’indemnité viagère de départ évite
la transmission par héritage de fermes « non rentables »,
les plans de pré-retraite incitent nombre d’agriculteurs à abandonner
la ferme familiale pour finir leurs jours en ville. Les contrats d’intégration
proposés par les industriels de l’alimentation apportent aliments
et animaux, transforment les paysans en difficulté, en travailleurs à
domicile.
Avec la crise de la surproduction des années 70 et le dépeuplement des campagnes qui caractérisent déjà le paysage français, l’on aurait pu penser que ce modèle de production intensif et extensif pouvait être mis en cause. Or, il n’en a rien été.
Le tournant des années 70-78 : de la surproduction au productivisme
Dès les années
70, l’Europe croule sous les excédents : de beurre, de poudre de lait,
de céréales, de viande bovine ; elle finance le bradage des excédents
sur le marché mondial en particulier vers les pays de l’Est et arabes
; elle accumule les frais de stockage ; le budget européen explose.
Mais la logique perverse de la rentabilité et de l’endettement paysan semble interdire toute redéfinition nouvelle de la politique agricole commune.
« Techniquement » remettre en cause, pour des raisons de rentabilisation, le processus maïs, soja, béton qui a conduit à retourner les prairies pour produire du maïs, acheter en complément du soja pour nourrir plus vite et à moindre frais des animaux qui restent toute l’année dans des étables bétonnées, munies de fosses à lisier, semble impensable. Cet exemple peut être étendu à d’autres domaines. En outre, et plus généralement, l’agriculture et l’élevage intensifs ont suscité, en amont de ces activités, le développement d’entreprises et de services pour l’exploitation des campagnes, constituant un formidable marché : production de machines, de matériels, de bâtiments, fourniture d’engrais, d’aliments pour bétails, de produits vétérinaires…
Enfin, le Crédit agricole est devenu un organisme bancaire incontournable : c’est la 1ère banque européenne qui finance à 80 % le monde agricole. Elle est le banquier d’un français sur 3, d’un artisan su 2, d’un commerçant sur 3…
L’infrastructure économique et les forces sociales qui en sont les promoteurs vont donc pousser à la fuite en avant, au productivisme, d’autant que cet engrenage va être favorisé, facilité par le tournant libéral d’ouverture des marchés et, paradoxalement, de protection des producteurs européens afin de préparer ceux susceptibles de tirer leur épingle du jeu à affronter la jungle du marché mondial.
C’est d’abord dans le domaine du discours, comme pour préparer les esprits, que le changement va s’opérer. Au discours prônant l’autosuffisance alimentaire pour justifier la rentabilisation intensive de l’agriculture succède le thème de la vocation agro-exportatrice de la France. Cette substitution de « croyance idéologique » apparaît d’autant plus pertinente, non seulement parce que l’autosuffisance alimentaire a été atteinte au cours des années 60 et qu’il apparaît désuet de s’y référer, mais surtout parce que le choc pétrolier de 73 a révélé la dépendance énergétique de la France. Et l’on comprend, dans ces conditions, la célèbre formule de Valéry Giscard d’Estaing « l’agriculture est le pétrole vert de la France ».
En fait, sous le vernis
des énoncés discursifs justifiants, il s’agit, malgré la
surproduction, de préserver les industries et les grandes filières
agroalimentaires, les coopératives agricoles entrées dans
la logique de rentabilité pour faire face aux exigences de compétitivité.
Qui plus est, le poids de la grande distribution qui s’est développée
avec la consommation de masse et qui parvient désormais
à imposer ses prix aux paysans constitue un lobby puissant
et manipulateur(8).
Quoiqu’il en coûte
aux contribuables, c ’est la fuite en avant : la logique de la PAC en sort renforcée.
Toutefois, elle connaît une réorientation par l’importance prise
par les subventions accordées aux exportations et une dépendance,
dès les années 80-90, aux aléas de la spéculation
sur les échanges mondiaux.
Les décisions prises dès la fin des années 70, accentuées par le virage libéral de déréglementation de 1983 pour la France, ont induit les conséquences et les dégâts du productivisme que l’on tente ( !) de traiter et de réparer aujourd’hui : la concentration du capitalisme s’est accélérée, les conditions de production et d’élevage se sont modifiées à un rythme effréné, provoquant des dégâts considérables. Sont apparus la malbouffe et les risques alimentaires massifs (9)
Outre l’importance prise
par les firmes agroalimentaires, les fusions-concentrations ont atteint les
coopératives de production. Instruments d’émancipation des paysans
à l’origine, elles sont devenues des moyens de domination et d’élimination
des petits paysans, jusqu’à échapper complètement au monde
agricole dont elles étaient issues. L’évocation à titre
d’exemple de l’Union Laitière Normande,
créée en 1962, est significatif (10). Initialement, il s’agissait
de valoriser le prix du lait par la fabrication de beurre, de poudre de lait
et de camembert. En 1990, cette Union regroupait 15 coopératives, 19
usines, 6 500 salariés. Elle était la plus grosse entreprise française
de cette nature. En 1992, son chiffre d’affaires atteint 15 milliards de francs.
La stratégie adoptée par le groupe, de rachat d’entreprises belges,
espagnoles dans son secteur d’activités afin de devenir le plus grand
groupe européen la fragilise. Le 30 juin 1992, incapable de faire face
à un endettement de 4 milliards de francs, elle passe sous le contrôle
de Bougrain, grande firme privée de l’agroalimentaire.
Cette logique de concentration liée à la recherche du rendement maximum, à la production de masse et à la conquête de marchés est bien évidemment encouragée par le Crédit agricole, garant des prêts, des accords entre groupes, qu’ils prennent la forme d’unions ou de fusions.
D’autres conséquences beaucoup plus perceptibles pour les consommateurs et les paysans eux-mêmes sont consécutives aux moyens mis en œuvre :
· les dégâts de la culture intensive sont considérables
: comme l’indique Christian de Brie (11) « pour
rester compétitif, l’agriculteur doit cultiver des sols nivelés,
remembrés, déboisés », se spécialiser dans
les variétés les plus productives, recourir à toujours
plus d’engrais, de pesticides, de produits phytosanitaires contre des parasites
de plus en plus résistants. Il « doit » utiliser les «
plantes poubelles » dont la culture est très polluante. Non seulement
le maïs, exemple le plus signifiant, est gros consommateur de produits
chimiques mais également d’eau. C ’est une plante du Sud, améliorée
génétiquement pour son implantation au Nord, introduite massivement
en France depuis les années 50, mais sa culture a été encouragée
de manière aberrante. Par des subventions à l’investissement de
la CEE, afin que soient entrepris forages, installations de pompage et de réseaux
pour développer l’irrigation. A contrario, l’Etat a maintenu le prix
de l’eau pour les agriculteurs à 10 % de son coût alors même
que dans certaines régions, cette agriculture intensive mobilise 80 %
de la ressource en eau. Par voie de conséquence, les sols sont devenus
de plus en plus fragiles, les paysages se sont dégradés, tout
comme les eaux souterraines polluées, dans de nombreuses régions,
par les nitrates.
· En ce qui concerne l’élevage, il est caractérisé
par le recours au dopage. Tout un arsenal technico- chimique s’est mis en place
: au delà des cas ayant défrayé la chronique, celui des
vaches nourries au mouton, aux résidus de fosses septiques, celui de
l’utilisation des « activateurs de croissance »
(12) interdite en principe depuis 1994 en Europe, mais qui bénéficie
d’un réseau occulte de complicités jamais mis en cause, c’est
le recours massif aux antibiotiques et la pratique des « améliorations
génétiques » qui interpellent.
· la concentration
d’animaux élevés hors-sol que l’on fragilise par l’intensification
des performances nécessite, pour maintenir l’état sanitaire des
cheptels, l’utilisation massive d’antibiotiques. Passer de l’élevage
de 60 à 80 truies, à plus de 300, accroît en effet les risques
de maladies infectieuses dans l’univers concentrationnaire, où elles
sont entassées. Résultat : les frais vétérinaires,
pour l’élevage des truies, a été multiplié par deux.
Et, plus généralement cette surmédicalisation des cheptels
a des conséquences sur la santé publique : la
résistance de l’homme aux antibiotiques s’est accrue jusqu’à provoquer
l’inefficience du recours à ce type de médicament
(13).
Quant aux « améliorations
génétiques », elles ont certes permis l’accroissement des
rendements ; la durée d’engraissement des élevages de viande a
diminué de 20 % en moins de 10 ans, mais l’élevage
en batterie a produit des races « amorphes »
dont la consommation est contestée (14). Bertrand Hervieu constate
: « les animaux que nous consommons naissent, vivent de plus en plus enfermés
mais nul ne saurait contrevenir impunément à l’interdiction de
pénétrer dans une porcherie, un atelier à veaux, ou un
poulailler industriel ». Et d’ajouter « chaque français consomme
en moyenne (par an) dans son alimentation 1,5 kg de produits chimiques, colorants,
résidus d’engrais et pesticides
»(15).
Quant aux véritables
paysans, dans leur grande majorité, ils sont devenus de simples fournisseurs
de matières premières des firmes agroalimentaires qui, par la
domination qu’elles exercent, contribuent à mettre en cause l’identité
des territoires et les produis des terroirs.
L’
impossible réforme dans le cadre du néo-libéralisme
Le productivisme peut afficher ses succès : en France, la production du blé a triplé en 40 ans, la production du porc a doublé, celle du maïs a été multiplié par 13. De 1950 à 1980, la productivité est plus de 7 fois plus importante mais 10 fois moins de personnes travaillent dans l’agriculture et l’on assiste à des déséquilibres démographiques, économiques et écologiques inquiétants. Les Gouvernements européens s’apitoient sur les dégâts provoqués, poids des écologistes et des électeurs oblige ! Mais, la nouvelle PAC, celle de 1993, reste pour le moins très controversée.
D’un côté,
la CEE se targue désormais de préserver les paysages, elle incite
au retour aux pâturages, finance les plantations de haies brise-vent car,
sur des surfaces considérables, les animaux ne sont plus à
l’abri du vent et de la chaleur. De l’autre, la logique ultralibérale
est renforcée sous forme d’octroi de subventions aux exportations ; la
déréglementation favorisant la baisse des prix et la concurrence
acharnée « obligeraient » à préserver les grands
secteurs par le moyen d’aides directes compensatrices de revenus. Il en est
ainsi pour la céréaliculture, les élevages de bovins. Quant
aux secteurs délaissés, porcs, volailles, fruits et légumes,
ils sont voués au « dégraissage » des moins productifs,
sauf à résister en prônant une autre alternative.
C’est en effet le système mondial de libre échange dérégulé
qu’il convient de mettre en cause car il aggrave les inégalités(16).
« Les Etats du Nord poursuivent une frénétique politique hyperproductiviste, surconsommatrice de pesticides et de polluants » (17), dans le même temps, 6 millions de terres cultivables disparaissent chaque année dans le monde, du fait de la désertification et 800 millions de personnes souffrent de malnutrition. Dans les pays occidentaux, la pollution alimentaire a été révélée par l’emploi d’excréments humains pour l’élaboration de farines animales pour le cheptel voué à la boucherie et les poissons d’élevage, par la commercialisation de poulets à la dioxine, les vaches folles, la contamination de canettes de coca cola, les bouteilles d’eaux minérales polluées au benzène…
Non seulement, il faut sonner « l’alarme écologique mais récuser cette malbouffe, cette alimentation de nulle part diffusée partout, dans laquelle on incorpore toutes sortes d’ingrédients, colorants, conservateurs, stabilisateurs, produits retenant l’eau… C’est de cette bouffe standardisée, aseptisée, conditionnée, reformatée, au goût uniforme que naissent les accidents sanitaires massifs. Malbouffe et risques alimentaires au Nord, malnutrition et famine au Sud, résultent de la logique financière du néolibéralisme qui pousse au productivisme incontrôlé. »(17)
Notes
(1) ce texte constitue une réécriture de l’exposé
proposé au débat lors de notre réunion du 16 mai 2001
(2) voir texte suivant de Fabien Desgranges
(3) sans recours aux pâturages/élevage de poulets
dans de grands hangars…
(4) voir article Monde Diplomatique 01.2001 – « Voyage
au cœur de la FNSEA » - Paol Gorneg
(5) MODEF – Mouvement de Défense des Exploitants familiaux-
(6) Voir dans « Le monde n’est pas une marchandise
» de José Bové et François Dufour-éd. Pocket-
le rôle joué par l’organisation des paysans-travailleurs dès
68 et au Larzac (1970) – « Paysans dans la lutte des classes » de
Bernard Lambert
(7) voir l’expérience de François Dufour dans
le livre « Le monde n’est pas une marchandise »
(8) il suffit de penser aux « affaires » de financement
de certains partis lors des tractations pour l’implantation des grandes surfaces
dans certaines villes.
(9) ce dernier point n’est qu’évoqué, voir
le texte de Fabien Desgranges : cliquez-ici !
(10) voir également en annexe les extraits d’un article
du Monde du 13.05.01 sur les « coopératives picardes de planteurs
de betteraves »
(11) voir son article dans « Manière de voir »
mars-avril 2000 « Soulager la planète » p. 45
(12) qui sont, en fait, des hormones synthétiques de
croissance
(13) voir texte suivant de Fabien Desgranges : texte
de Fabien Desgranges (cliquez ici !)
(14) voir dossier du Canard Enchaîné – juillet
2000 – « Qu’est-ce qu’on mange encore ? »
(15) voir article de Bertrand Hervieu dans « Manière
de voir » mars-avril 2000 « Soulager la planète »
(16) voir article de Jacques Berthelot dans le Monde Diplomatique
avril 2001 – « l’urgente réforme des politiques européennes
– Un autre modèle pour l’agriculture »
(17) voir éditorial d’Ignacio Ramonet dans «
Manière de voir » mars-avril 2000 « Soulager la planète
»